Lubna Azabal, tout feu, tout femme

Elle le dit en riant : "J’ai du cul !" Lubna Azabal ne fait pas allusion à son physique, avec lequel elle jure d’ailleurs avoir un problème quand elle se voit à l’écran. La métaphore vaut pour l’évolution de sa carrière.

Alain Lorfèvre
Lubna Azabal, tout feu, tout femme
©D.R.

Entretien Elle le dit en riant : "J’ai du cul !" Lubna Azabal ne fait pas allusion à son physique, avec lequel elle jure d’ailleurs avoir un problème quand elle se voit à l’écran. La métaphore vaut pour l’évolution de sa carrière. En ce début 2011, la comédienne bruxelloise se démultiplie sur les écrans, aux quatre coins de la planète cinéma, forte de sa triple culture - elle est Belge, d’ascendance marocaine et espagnole. Douze ans après ses débuts dans "Pure Fiction" de Marian Handwerker, et après s’être distinguée avec régularité ("Viva Laldjérie", "Exils", "24 Mesures" ), elle transcende "Incendies" de Denis Villeneuve, allégorie inspirée sur le destin d’une femme au cœur d’une guerre civile, qui sort cette semaine (lire aussi en "Libre Culture"). Fin janvier, la critique américaine la découvrira au festival de Sundance dans "Here" de Braden King, qu’elle a tourné en Arménie avec pour partenaire Ben Foster. Et au cours de son "année films étrangers", comme elle la qualifie, Lubna Azabal a aussi joué une adaptation du "Coriolanus" de Shakespeare avec et sous la direction de Ralph Fiennes. Ajoutons "I Am Slave" de Gabriel Range, aux côtés d’Isaach de Bankolé et de Hiam Abbass, et ce tableau très international est complet - pour l’instant. "Je pense que ce qui m’a un peu aidé à sortir d’une carrière franco-française, c’est d’avoir fait "Paradise Now" (2005), note-t-elle . Le film est passé au Golden Globes, etc. Je n’ai pas d’agent en dehors de la France, mais je connais deux ou trois directeurs de casting. Mon nom circule, en Israël, mais aussi dans le monde anglais. On m’appelle. J’ai eu des petits rôles, comme chez Ridley Scott (dans "Body of Lies", avec Leonardo DiCaprio, NdlR) ou dans "Here", par exemple : Braden King, qui est un cinéphile et qui aime le cinéma français, m’avait vue dans des films. C’est comme ça qu’il a pensé à moi."

"Incendies" devrait encore renforcer l’attrait qu’exerce désormais l’actrice. Elle porte le film sur ses épaules, incarnation du destin brisé d’une femme emportée par la tourmente d’une guerre communautaire. Nawal, son personnage, elle l’a aimé dès la lecture du scénario, adapté par Denis Villeneuve de la pièce éponyme de Wajdi Mouawad. "J’étais bouleversée. Je n’ai jamais lu un tel ovni. Ce fut une gifle. Cette histoire, c’est une tragédie grecque moderne. On est dans l’Œdipe inversé. Il y a une tension permanente entre le passé et le présent, la mère et les jumeaux. Et tout cela traité comme une œuvre d’art. J’ai prié pendant des mois pour avoir le rôle. Je savais que nous étions trois actrices en lice." Dont la comédienne et réalisatrice libanaise Nadine Labaki ("Caramel"). Mais Florence de Montois, la directrice de casting française de Denis Villeneuve avait prévenu d’emblée le réalisateur : "Lubna "est" Nawal." "J’ai été complètement soufflé par sa présence , précise le Québécois . Son jeu repose sur la force intérieure, pas sur une forme de séduction. Lorsque vous la voyez marcher, vous n’avez pas l’impression qu’elle sort des Galeries Lafayette. On peut croire en la voyant qu’elle est née et qu’elle a grandi dans un village au bord d’une frontière."

Rien de plus éloigné, pourtant, du vécu de Lubna Azabal que celui de Nawal. Bien sûr, depuis "Paradise Now", elle a multiplié les expériences et les tournages au Moyen-Orient. De quoi lui faire côtoyer et absorber - comme tout bon comédien - la réalité d’une région "dont l’Histoire a fait le terrain de jeux parfait pour la guerre" comme le dit un personnage d’"Incendies". Pour autant, la comédienne est plus dans l’instinct que dans l’intellect. "J’ai lu deux, trois choses. Mais Denis ne voulait pas en faire un film politique ou historique. J’ai cherché juste ce qu’il fallait pour me projeter dans la vie et l’univers de cette femme. Le plus important étant que l’on voit d’abord Nawal comme une femme, pas comme une résistante ou une guerrière. Je suis très instinctive. Je ne me pose pas trois milliards de questions. J’essaie de m’en tenir à l’essentiel. Quand le tournage commence, je suis en immersion totale. Je ne regarde ni à gauche ni à droite. J’ai de la musique dans les oreilles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce n’est pas pour m’isoler des autres, mais pour ne pas être perturbée. Afin d’être constamment là où je dois être dans la situation, dans laquelle je dois être." Villeneuve : "Lubna fait partie de ces comédiens que je qualifie de guérilleros : elle est totalement engagée, elle plonge, elle fait confiance."

Une confiance d’autant plus assurée lorsque la comédienne se trouve en face de ce qu’elle appelle, elle, "un capitaine" : seul maître à bord, qui sait où il va et qui se repose sur son équipage pour mener le navire à bon port. "Denis et moi, on avait une vision assez claire sur la manière d’aborder les choses. Il m’aiguillait et me laisser proposer des choses. C’est un bon réalisateur et un bon directeur d’acteurs parce qu’il sait ce qu’il veut. Il ne réfléchit pas pendant des heures, n’hésite pas. Sans être un dictateur qui vous dirige au mot près." Cette assurance était d’autant plus nécessaire dans le cas d’"Incendies" que le tournage était court et les journées intenses. "On se levait à 3 heures du matin presque tous les jours pour démarrer à 5 heures, note l’actrice, qui précise pourtant : je n’ai jamais été aussi heureuse sur un tournage." Ce qui n’empêche pas la peur, notamment celle de décevoir. "Le pire, pour moi, aurait été que Wajdi n’aime pas le film et, surtout, considère que j’aurais massacré Nawal." On en est très loin. La clé de la réussite ? "Il faut rester simple. Ici, surtout, il fallait éviter d’en faire trop. Ne pas renchérir dans la douleur ou le pathos. Les faits sont déjà suffisamment explicites."

On devine l’interprète soulagée face à l’accueil positif, public et critique, que le film rencontre. "Après, assure-t-elle , je suis comme tous les acteurs : je n’aime pas ma gueule, je n’aime pas ma manière de parler et de bouger." Fausse modestie, d’une actrice sans agent international et qui tape pourtant dans l’œil de tous ces réalisateurs qui la sollicitent, d’Israël aux Etats-Unis ? Elle qui tient à valider les photos qui accompagnent ses entretiens (comme celle ci-contre) ou qui protège sa date de naissance jure toutefois que "les comédiens ne sont pas aussi narcissiques qu’on le croit". Elle explique l’apparente contradiction : "C’est un rapport étrange : c’est nous et ce n’est pas nous qu’on voit. Ce n’est pas ma vie à l’écran, pas ma manière de m’habiller, parfois pas ma langue, comme ici. Mais en même temps ce sont mes jambes, mes bras, mes yeux J’ai beaucoup de mal avec ma voix."

Son impulsion, ce sont "les beaux projets". "Le moteur, c’est le désir : si je ne tombe pas amoureuse de l’histoire ou du personnage, je ne peux pas faire le film. Après, parfois, on fait des films parce qu’il faut bouffer. Comme dit Galabru : je remercie aussi les mauvais textes, parce qu’il en faut. Etre acteur, ce n’est pas toujours une trajectoire parfaite. Il y a des échecs, des erreurs, des déceptions Mais même dans ces cas-là, on fait de son mieux. J’essaie toujours de trouver du bonheur et du plaisir. C’est une telle chance de faire ce métier. Un projet comme "Incendies", ça fout la trouille, mais c’est d’abord un cadeau merveilleux." Et de résumer : "On me paie pour être schizophrène. C’est génial !"

Lire aussi notre critique de "Incendies" et notre entretien avec Denis Villeneuve dans "La Libre Culture".

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