Portrait d’un salaud ordinaire

Septembre 1973, Santiago du Chili. La quarantaine grise, l’œil vitreux, Mario paraît moins en forme que les cadavres qu’il observe toute la journée à la morgue, où il retranscrit des rapports d’autopsie. Son seul rayon de soleil dans une vie d’ennui, il le croise tous les matins ou presque : Nancy, une danseuse de cabaret qui habite de l’autre côté de la rue Un soir, n’y tenant plus, il va la voir dans sa loge après une représentation avec un bouquet de fleurs et son plus beau costume, gris. Contre toute attente, elle accepte de se laisser ramener en voiture

Hubert Heyrendt

Septembre 1973, Santiago du Chili. La quarantaine grise, l’œil vitreux, Mario paraît moins en forme que les cadavres qu’il observe toute la journée à la morgue, où il retranscrit des rapports d’autopsie. Son seul rayon de soleil dans une vie d’ennui, il le croise tous les matins ou presque : Nancy, une danseuse de cabaret qui habite de l’autre côté de la rue Un soir, n’y tenant plus, il va la voir dans sa loge après une représentation avec un bouquet de fleurs et son plus beau costume, gris. Contre toute attente, elle accepte de se laisser ramener en voiture

En quelques scènes, Pablo Larraín donne le ton et pose son personnage triste, morne, fatigué. Pas désespéré, simplement résigné. Mais pas au point de se révolter ou même de prêter oreille à l’agitation qui commence à gronder dans la rue. Tout ce qui intéresse cet être profondément détaché du monde, c’est de trouver l’amour. En ces jours de septembre 73, le général Pinochet s’apprête pourtant à faire tomber le régime du socialiste Salvador Allende et à installer une longue dictature qui fera 3 200 disparus, 35 000 torturés et des dizaines de milliers d’arrestations

Ce qui frappe dans "Post Mortem", c’est la capacité de Pablo Larraín, comme dans son film précédent, "Tony Manero", à interroger le passé sombre de son pays avec un profond détachement. Peut-être parce qu’il ne l’a pas vraiment connu - il est né en 1976 -, mais qu’il en mesure toujours les répercussions dans la société chilienne actuelle.

Plutôt que réaliste, son regard se fait poétique. Plans fixes, couleurs passées, la mise en scène du jeune cinéaste est d’une effroyable sécheresse. Mais, à la manière d’un Kaurismaki du Sud, il pratique un humour à froid dévastateur. Son pessimisme n’épargne en tout cas personne, ni les pro-Pinochet, ni les communistes, ni, surtout, son "héros". Un salaud ordinaire interprété par le génial Alfredo Castro, dont le physique longiligne, maladif, incarne à lui seul la vision de l’auteur sur le passé chilien.

Lâche, profondément égoïste, cet antihéros n’attire pas la sympathie. Pourtant, on reste à ses côtés, on partage son désarroi. Car Larraín ne cherche jamais à le crucifier sur l’autel du romantisme révolutionnaire. Mario, c’est plutôt Monsieur Tout-le-monde qui, au Chili en 1973, ou en un autre lieu à une autre époque, préfère fermer les yeux pour ne pas voir les tourments du monde. Jusque dans une dernière scène tout bonnement hallucinante et hallucinée. Plusieurs minutes de déchaînement d’une violence trop longtemps contenue qui explose à l’écran et laisse le spectateur knocked out. Un dernier plan fixe interminable, enregistrant un geste innommable, qui enterre toute illusion sur la nature humaine, engoncée dans un individualisme forcené et une indifférence coupable. Tout simplement brillant !

Scénario & réalisation : Pablo Larraín. Photographie : Sergio Armstrong. Avec Alfredo Castro, Antonia Zegers 1 h 38.

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