Contre vents et raclées
Manager d’une équipe de base-ball, Billy Beane est à quelques minutes de l’exploit. Avec sa petite équipe des Oakland Athletics, il est sur le point de remporter les World series. Finalement, non, la logique est respectée, Goliath finit par écraser David. Et en plus, le géant lui fait les poches, en emportant ses meilleurs joueurs. Tout est à recommencer. Il va falloir reconstruire une équipe avec le même budget, très modeste. Trois fois moins que les équipes phare, les New York Yankees, par exemple.
Publié le 07-12-2011 à 04h15
Manager d’une équipe de base-ball, Billy Beane est à quelques minutes de l’exploit. Avec sa petite équipe des Oakland Athletics, il est sur le point de remporter les World series. Finalement, non, la logique est respectée, Goliath finit par écraser David. Et en plus, le géant lui fait les poches, en emportant ses meilleurs joueurs. Tout est à recommencer. Il va falloir reconstruire une équipe avec le même budget, très modeste. Trois fois moins que les équipes phare, les New York Yankees, par exemple.
Notre manager remonte à l’assaut, quand sa route croise celle d’un jeune passionné de base-ball diplômé de Yale. Son idée, appliquer ses modèles économiques à son sport favori. Autrement dit, réduire chaque joueur à un nombre, une cote, au moyen d’une formule complexe, dans le but de repérer les joueurs sous-cotés, autrement dit, les bonnes affaires. Car si certains athlètes touchent des salaires irrationnels, d’autres sont sous-payés, sous-estimés pour les mêmes raisons irrationnelles.
Et de construire une toute nouvelle équipe composée de bras cassés sur le papier.
Avant de claquer la porte, ses assistants chargés de repérer les talents lui prédisent une bérézina, l’entraîneur ne fait d’ailleurs rien pour l’éviter. Et le parcours des Oakland A’s s’avère digne de celui de Genk en Champion’s League, une succession d’humiliantes casquettes. Mais Billy et son gourou s’accrochent à leur idée.
On peut voir dans ce "Moneyball", une variation de plus sur l’exaltation du rêve américain, soit la trajectoire d’un homme qui, contre vents et raclées, s’accroche à son intuition, mû par le puissant moteur intérieur de la revanche. C’est que taillé pour ce sport - comme Brad Pitt l’est pour le cinéma -, Billy n’a jamais percé comme joueur, frappé par la malédiction du terrain.
Ce qui tranche avec le modèle classique du film sportif, c’est qu’on observe le sport professionnel pour ce qu’il est : un business. On ne le dénigre pas plus qu’on ne lui prête de nobles valeurs. Ni cupidité contre courage, ni dopage contre dépassement de soi, ni triche contre esprit d’équipe. Ni cracra, ni blabla, ça fait du bien.
Mais fallait-il la crème des acteurs, Brad Pitt et Philip Seymour Hoffman, Steven Zaillan, le scénariste de "Schindler list", Michael De Luca, Scott Rudin et Aaron Sorkin, les producteurs de "Social Network", et Bennett Miller, le réalisateur "Truman Capote", pour nous expliquer cela ?
Le film est plus complexe et subtil que les règles du base-ball qu’il n’est pas nécessaire de connaître. En effet, "Moneyball" confronte deux sentiments contradictoires.
D’une part, l’admiration pour la combativité d’un individu. Au pays des créationnistes, Billy Beane illustre à lui seul la théorie de l’évolution : ce ne sont pas les plus forts, les plus puissants qui subsistent, mais ceux qui sont capables de s’adapter. D’autre part, l’effroi qu’inspire son modèle. En réduisant les individus à des formules mathématiques, le système Billy a de quoi faire trembler en matière de ressources humaines. La démonstration est d’autant plus troublante, on est d’autant plus décontenancé que le carburant de Billy n’est pas l’argent, la gloire, la réussite sociale, mais une forme d’épanouissement, d’accomplissement personnel.
"Moneyball" est un film classique, bluffant et interpellant, car il éclaire notre XXIe siècle. Ce cinéma américain dans le meilleur sens du terme est emballé par deux acteurs qui font un grand match : Brad Pitt et Jonah Hill. Passionnant.
Réalisation : Bennett Miller. Scénario : Steen Zaillan, Aaron Sorkin; d’après "Moneyball", de Michael Lewis. Avec Brad Pitt, Jonah Hill, Philip Seymour Hoffman 2h13.