Le bal est fini

Jason Reitman poursuit sa petite déconstruction des genres et de la société américaine. "Young Adult" s’inscrit sur le fond dans la lignée de "Thank You for smoking", "Juno", "Up in the air". Tout aussi féroce, ce quatrième film du réalisateur canadien se teinte d’un peu plus d’amertume.

A.Lo.
Le bal est fini
©n.d.

Jason Reitman poursuit sa petite déconstruction des genres et de la société américaine. "Young Adult" s’inscrit sur le fond dans la lignée de "Thank You for smoking", "Juno", "Up in the air". Tout aussi féroce, ce quatrième film du réalisateur canadien se teinte d’un peu plus d’amertume.

Le film s’ouvre d’ailleurs sur des sanglots étouffés et, pendant les premières minutes, s’abstient du tapis musical caractéristique des productions américaines. Les sanglots sont ceux d’un talk-show que regarde Mavis Gary (Charlize Theron), avant de commencer sa journée de "nègre" de série pour ados à succès. Frisant la quarantaine, toujours célibataire, Mavis affiche tous les signes extérieurs d’un (certain) succès, mais ne peut masquer le grand vide de sa vie. Qui se transforme en gouffre lorsqu’elle reçoit dans sa messagerie le faire-part électronique de naissance du premier enfant de son ex-petit ami, Buddy (Patrick Wilson, casting idéal pour le rôle : son doux visage de beau-fils idéal a dû faire tourner les têtes des midinettes au collège). Un mauvais matin de plus, Mavis embarque alors ordinateur portable, valise et chienchien, direction Mercury, Minnesota, le bled dont elle s’était enfuie. A l’image du générique, gros plans sur les rouages d’une vieille cassette audio, le tempo du rock FM paraît couler lentement, mais la bande magnétique, telles les années de jeunesse passées, défile à toute allure. Mavis peut la rembobiner. Mais peut-elle revenir, elle, en arrière ?

Jason Reitman retrouve ici la blogueuse et écrivain Diablo Cody au scénario (elle avait écrit celui de "Juno"). Les deux s’y entendent pour se jouer des codes. Oubliez l’affiche, trompeuse, qui pourrait faire passer "Young Adult" pour une de ces comédies insipides et interchangeables avec Jennifer Aniston ou Sarah Jessica Parker : le même pitch, agrémenté de punch lines, aurait pu donner un hypothétique "Trente ans, toujours sans enfant". Mais "Young Adult" (euphémisme nord-américain politiquement correct pour "ado") apparaît comme une suite improbable de "Virgin Suicides". Que serait Lux devenue à trente-sept ans ?

Le scénario et la mise en scène résonnent des échos de tous ces films d’ados, bons ou mauvais, vus cent fois. Mais offrent une variation crue sur la relecture nostalgique des "années collège", qui marqua un temps le cinéma commercial américain ("American Graffiti" de Lucas, "Peggy Sue s’est mariée" de Coppola, "Retour vers le futur" du trio Zemeckis/Lucas/Spielberg). Reitman et Cody les teintent de l’amertume du réalisme et du recul. Quand Mavis remet le pied dans le pub qu’elle écumait ado, elle tombe sur celui à qui elle n’avait jamais accordé la grâce d’un regard du temps de sa splendeur : le nerd, le petit gros qu’on méprise (le comique Patton Oswalt dans un contre-emploi parfait). Malaise : le corps de Matt porte autant les stigmates de la violence adolescente que le cœur. La pétasse qui sommeille en Mavis peut bien ressurgir au détour d’une répartie cruelle, l’ancienne reine du bal est désormais ouvertement méprisée par celles qui la détestaient autant qu’elles l’enviaient, et qui ont, désormais, un avantage suprême : ce sont des mères de famille, cools, respectées et aimées (et, qui plus est, réalisant sur le tard le rêve de tout ado : jouer dans un groupe rock). On pourrait en rire (et on en rit parfois, car Reitman, Cody et leurs interprètes ont l’art d’évoluer sur le fil du rasoir), mais il y a surtout de quoi en pleurer. La peinture de la vie provinciale américaine n’est pas moins ambivalente : ça sent le vécu.

Démarquant le canevas des comédies qu’il détourne habilement, l’ouvrage de Reitman et Cody n’est pas exempt, à son tour, de conventions : il y a la grande scène de pétage de plomb qui vire au règlement de comptes ou la coucherie avec "le meilleur copain". Bémol qui n’altère toutefois en rien la force cruelle du constat et la qualité de l’interprétation. En fleur flétrie à la veille de l’automne de sa vie, Charlize Theron n’avait plus été aussi terriblement convaincante depuis "Monster".

Réalisation : Jason Reitman. Scénario : Diablo Cody. Avec Charlize Theron, Patton Oswalt, Patrick Wilson,... 1h34.


Réalisation: Jason Reitman Scénario: Diablo Cody Avec: Charlize Theron, Patton Oswalt, Patrick Wilson Durée: 1h34


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