Cosmopolis: sur la déroute

Dans une interminable limo blanche, tout en écrans tactiles bleutés et fauteuils de cuir noir, Eric Packer roule vers sa dernière envie : se faire couper les cheveux à l’autre bout de la ville.

F.Ds
Cosmopolis: sur la déroute
©Belga

Dans une interminable limo blanche, tout en écrans tactiles bleutés et fauteuils de cuir noir, Eric Packer roule vers sa dernière envie : se faire couper les cheveux à l’autre bout de la ville. Roule, façon de parler, car aujourd’hui, New York est un embouteillage géant causé par la visite du Président, l’enterrement d’un rapper, une manifestation d’activistes non loin de Wall Street. Ils militent pour l’avènement d’une nouvelle devise en remplacement du dollar : "le rat".

Renonçant à comprendre la lubie de son patron qui pourrait faire venir n’importe quel coiffeur en hélico dans son bureau, le garde du corps en chef de Packer lui énumère les raisons objectives de renoncer à son projet, la plus sérieuse étant une menace d’attaque dont il serait la cible.

En attendant, ça entre et ça sort dans la limo qui avance au pas. Au spécialiste en sécurité informatique, succède le geek et puis la marchande d’art (dont le corps est aussi une œuvre d’art; en tout cas, il est à vendre). Un médecin lui fait passer son check-up quotidien, et on se dit que Cronenberg est de bonne humeur. Alors qu’on procède au toucher rectal du golden boy, il apparaît de plus en plus évident que sa dernière manœuvre spéculative sur le yuan a échoué, qu’il l’a donc au même endroit que le gant de latex.

On n’ira pas jusqu’à dire qu’il aime cela, mais la perspective d’avoir perdu des millions, des centaines de millions, des milliards de dollars au casino de la finance mondialisée, lui donne seulement l’envie d’aller se faire couper les cheveux. Tout cela est tellement virtuel.

Le rythme du voyage lui laisse le temps de prendre ses repas avec sa femme. Ils forment un couple colossalement riche mais tout aussi virtuel, pas question pour la jeune femme de se laisser toucher par son mari. Retour dans la limo où la menace d’attentat se précise, pâtissier pour commencer (avec Mathieu Amalric dans le rôle du Gloupier).

Cronenberg signe un film aussi bavard que le précédent, "A Dangerous Méthod". Passablement intimidant aussi, car il faut pouvoir suivre les conversations mêlant la philosophie et finance. En même temps, Cronenberg pratique l’humour, la métaphore et le ventilateur : tout cela brasse beaucoup d’air.

Il est tout de même frappant de constater le caractère prophétique du roman de Don DeLillo. En 2003. "Cosmopolis" y décrivait le profil et l’itinéraire de ces très jeunes entrepreneurs qui ont mis des bulles (Internet) dans le capitalisme et sont devenus les maîtres du monde. Comment ne pas penser au héros de "Social Network", Mark Zuckerberg, 28 ans, comme Eric Packer, le passager de la limousine, à l’heure de la mise en Bourse de Facebook et d’une première sensation de toucher rectal.

Suçant désormais les dollars plutôt que le sang, Robert Pattinson réussit son examen de passage dans le cinéma des grands.


Réalisation : David Cronenberg. Scénario : David Cronenberg, d’après le roman de Don DeLillo. Avec Robert Pattinson, Paul Giamatti, Sarah Gadon, Juliette Binoche 1h48.


Vendredi, à 13h30, Joachim Lafosse répondra à toutes vos questions


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