Marilyn, ou la lumière des étoiles mortes
Disparue le 5 août 1962, elle reste l’icône féminine absolue du Septième Art. Sa popularité n’a pas subi la moindre éclipse. Plus qu’une actrice : un mythe.
Publié le 05-08-2012 à 10h25
:focal(115x89:125x79)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/KN6TQ4HFRVDEVANUSYIXTDV6KA.jpg)
Évocation Bien des siècles après qu’elles aient rendu l’âme, des étoiles, noyées dans l’océan des cieux, nous font parvenir encore leurs feux. De cette lumière d’étoiles mortes, on peut peut-être parler en évoquant Marilyn Monroe - qui s’est éteinte il y a 50 ans, jour pour jour. Parce qu’elle continue d’ensoleiller notre imaginaire. Star des stars, elle fut. Et rappellerons-nous qu’en français "star" signifie étoile ? S’il existe des étoiles de mer, il en existe aussi de terre : Marilyn en reste la plus brillante.
C’est à l’aube du dimanche 5 août 1962 que fut officiellement annoncé le décès de l’actrice, survenu quelques heures plus tôt, en pleine nuit, dans des circonstances nébuleuses. De sa mort, probablement on ne connaîtra le fin mot que lorsque des dossiers sensibles seront déclassifiés, pour autant qu’ils n’aient été depuis longtemps détruits. Des relents de thriller, liés au fait que Marilyn eut des liaisons avec le président Kennedy et son frère Robert, celui-ci ayant été, murmure-t-on, l’un des tout derniers à l’avoir vue en vie. Dès ce jour bruissèrent des rumeurs : suicide, complot, assassinat. Cinquante étés plus tard, ces ragots surnagent, gavant des pages par milliers. Néanmoins (hormis ceux qui phosphorèrent à ce sujet à propos du non moins mythique Elvis Presley), nul jamais n’imagina que Marilyn n’était pas morte en cet août-là, mais se terrerait au fin fond d’une île, s’y étant réfugiée pour se soustraire à une adulation qui lui rongeait l’âme inexorablement. Si cette folle hypothèse s’était vérifiée, Marilyn aurait aujourd’hui 86 ans.
L’autopsie révéla que la belle (fausse) blonde avait succombé à une overdose accidentelle de barbituriques. Tenons-le nous pour dit Puis on l’inhuma dans le cimetière californien de Westwood Village Memorial Park, où elle repose dans une crypte de marbre. Cette mort bétonnera le destin posthume de celle qui avait été une légende vivante. On sait combien les foules versent volontiers des larmes (parfois de crocodile) lorsqu’une célébrité disparaît inopinément, dans la printemps de son âge : poursuivie à tombeau ouvert par des paparazzi dans un tunnel de Paris, au dernier jour d’août 1997, Diana en sera la preuve inégalée. Il en était allé de même en septembre 1955, quand James Dean se tua au volant de sa Porsche, à 23 ans. Mourir jeune, alors que la célébrité vous auréole, délivre le passeport pour l’immortalité. C’est pourquoi une Greta Garbo et une Marlene Dietrich - qui furent deux déesses de l’écran mais qui vécurent âgées - ne bénéficient pas de l’aura dont jouit Marilyn. Aura liée au fait que sa rayonnante image n’a cessé d’être reproduite sans relâche (comme semble l’être celle d’Audrey Hepburn depuis quelques années) : pas de purgatoire pour Marilyn. Morte à 36 ans, il est incontestable qu’elle doit sa "survie" aux innombrables produits dérivés - calendriers, objets divers qui vont des briquets aux cadrans d’horloges, des miroirs aux T-shirts, etc.) - qui multiplient à l’infini son visage ou sa sculpturale silhouette.
Ce n’est pas commettre un crime de lèse-Monroe que d’estimer que cette colossale et rentable exploitation de son image contribue bien plus à sa popularité sans faille que ses films, même si les chaînes de télévision programment fréquemment quelques-uns de ceux-ci : "Niagara", "Les Hommes préfèrent les blondes" (où elle forme un duo de choc avec la pulpeuse Jane Russell, décédée le 28 février 2011, à 89 ans), "Sept ans de réflexion" (où un courant d’air, provoqué par un ventilateur en dessous d’une grille de métro, soulève sa robe), "Les Désaxés" (où elle affronte deux monstres sacrés hollywoodiens, Clark Gable et Montgomery Clift) ou, surtout, "Certains l’aiment chaud" (le langoureux baiser qu’elle y échange avec Tony Curtis est devenu séquence d’anthologie.) On lira, par ailleurs, qu’aucune vedette de l’écran ne fit davantage couler d’encre. Rarement parce que Marilyn eut défrayé la chronique (elle ne "scandalisa" guère) ou donné une image controversée de l’Amérique : rien à voir, par exemple, avec Jane Fonda qui condamna son pays à l’époque de la guerre du Vietnam, s’attirant les foudres du pouvoir et suscitant l’ire d’une part de la population. De Marilyn, la vie privée (pour autant qu’elle ait pu en avoir une) fut livrée en pâture au public friand de cancans. Combien d’articles (des dizaines de milliers, au bas mot), combien de livres n’a-t-elle pas inspiré au long des 50 dernières années ? Marilyn n’est pourtant souvent qu’un prétexte aux écrivains, hommes ou femmes, souvent de talent, pour exprimer leurs propres fantasmes à travers le portrait qu’ils tracent d’elle. Un peu à la manière d’Alexandre Dumas qui retouchait l’Histoire pour en accentuer le romanesque.
Dispose-t-on, à ce jour, d’une seule biographie véritablement fiable de Marilyn ? Non. Il y a une trentaine d’années, à Paris, nous interviewâmes une demi-sœur de la star (quinquagénaire lui ressemblant au point qu’on pouvait imaginer ce qu’elle eut été au même âge) qui affirmait mordicus que les liaisons prêtées à l’actrice/chanteuse (les Kennedy ou Yves Montand, etc.) n’étaient que des bobards journalistiques. "Ce qui est excessif est insignifiant", estimait Talleyrand Mais quoi ! N’entend-on pas que ce qu’on veut entendre ? Par sa trajectoire d’étoile filante, Marilyn fascine, elle qui avouait : "Je ne suis à l’aise que quand je suis nue". On veut tout "voir" et tout "savoir" d’elle. Que connaît-on de Neil Armstrong, le (toujours vivant) premier homme qui marcha sur la Lune, le 21 juillet 1969 ? Quasiment rien. Tandis qu’au sujet de Marilyn - au fait, une étoile porte-t-elle son nom ? - le premier venu sait que deux de ses trois maris furent des gloires : l’idole du base-ball, Joe DiMaggio, et le dramaturge Arthur Miller. Les essais et fictions consacrés à M. M. ont moins contribué à dorer sa légende que ses albums de photos. Là fleurit une femme qui entretint un rapport presque amoureux avec l’objectif. Grâces soient donc rendues aux Bruno Bernard, André De Dienes, Richard Avedon, Cecil Beaton, Lawrence Schiller, Milton H. Greene et autres Eve Arnold, George Barris et Bert Stern qui l’"immortalisèrent" au moins autant que les réalisateurs de ses films. Parce qu’une photo (ou une sérigraphie - d’Andy Warhol, dans le cas de Marilyn) est un éclat d’éternité. Qui défie l’oubli, c’est-à-dire : la mort. Marilyn fut l’une des femmes les plus photographiées du monde, à l’instar de Brigitte Bardot, de Jacqueline Kennedy, de la princesse Diana. Bien plus qu’Eva Perón, morte en 1952, à 33 ans. Les photos ? Sans quelques-unes, devenues mythiques, Norma Jeane Mortenson, née le 1er juin 1926 à Los Angeles, serait-elle jamais devenue Marilyn Monroe ? Ces photos de pin-up posant nue sur un drap de velours rouge, prises en mai 1949 par Tom Kelley pour 50 dollars, ne sortirent en calendrier qu’en 1952 ; inédites jusqu’alors dans la presse, il en parut dans le tout premier numéro de "Playboy" en novembre 1953. Audacieuses ? A mille lieues de l’érotisme d’une Sharon Stone dans "Basic Instinct" ou de la Madonna de "Sex", livre jamais réédité depuis sa sortie en 1992. Marilyn était le contraire d’une Ava Gardner : sex-symbol, certes, mais pas "femme fatale".
Cette "innocence" et cette spontanéité (qui caractérisaient Brigitte Bardot du temps de B. B., elle qui eut un impact sociologique qu’une Marilyn Monroe n’exerça absolument jamais) n’ont cessé d’attendrir le public. Les hommes l’"adorent" et les femmes lui vouent une affection que ne ternit aucune jalousie, chacun mesurant que cette créature - à qui le Ciel donna la beauté du diable - souffrit beaucoup. Surtout de se sentir bien davantage admirée qu’aimée. Elle savait que sa beauté ne vivrait que ce que vivent les roses ou que ces fleurs ailées que sont les papillons. Oui, Marilyn fut belle ; l’une des femmes les plus belles depuis Hélène de Troie et Diane de Poitiers, mais qui paya ce don des dieux au prix d’une solitude sans nom. Et de la peur. En octobre 2010, parut au Seuil la traduction d’un recueil de ses textes, intitulé "Fragments", où elle gémit : "Seule ! Je suis seule ! Je suis toujours seule" . Fleurissant Marilyn en lui accordant une pensée, ce samedi d’août 2012, peut-être adoucirons-nous la peur d’une étoile qui, à peine, a pâli.