Les variations Resnais

Le générique se déroule comme chez Guitry. Les acteurs, sous leur propre nom - Azéma, Arditi, Wilson, Amalric, etc. - sont appelés, l’un après l’autre, au téléphone. Un notaire les informe du décès d’un ami, et les invite à se rendre dans sa propriété pour entendre ses dernières volontés.

Fernand Denis

Le générique se déroule comme chez Guitry. Les acteurs, sous leur propre nom - Azéma, Arditi, Wilson, Amalric, etc. - sont appelés, l’un après l’autre, au téléphone. Un notaire les informe du décès d’un ami, et les invite à se rendre dans sa propriété pour entendre ses dernières volontés.

Toute une petite troupe, au sens théâtral aussi - ce sont tous et exclusivement des comédiens -, se retrouve dans l’immense hall d’une maison insolite qui tient davantage d’un décor que d’un lieu de vie. D’ailleurs, un majordome les accueille avec une petite mise en scène, les invitant à prendre place dans de confortables canapés tous orientés en direction d’une fresque qui laisse bientôt apparaître un écran. L’ami regretté, un auteur dramatique, apparaît dans une vidéo posthume. Sa dernière volonté ? Que tous ses amis comédiens réunis se prononcent sur la demande d’une jeune troupe qui souhaiterait être autorisée à jouer sa version "Eurydice" très contemporaine comme le montrent des extraits tournés dans un loft.

En les regardant, les comédiens qui ont tous joué ce texte sentent les mots revenir sur leurs lèvres, les couples de différentes générations - Arditi-Azéma, Consigny-Wilson - se reforment naturellement, rejouent l’œuvre, se passant le relais d’une scène à l’autre.

Le théâtre passe plutôt mal à l’écran, la convention coince, le jeu plus expressif des acteurs aussi. Une solution consiste à aérer, mais elle est souvent boiteuse comme dans "Le prénom" récemment. Le mieux est encore d’assumer en accentuant le réalisme comme le fait Polanski dans "Carnages". Pourtant, Resnais fait exactement le contraire, il surligne le dispositif, appuie spectaculairement son artificialité. Par les moyens classiques comme la valeur des plans, mais aussi des procédés numériques en jouant avec les effets spéciaux, en s’amusant avec le split screen, en créant de troublantes sensations de perspective. A 90 ans, Resnais reste très jouette sans nier son âge pour autant, il a trouvé dans cette pièce d’Anouilh une méditation sur la mort et sur la vie. La surprise, c’est que l’artificialité du dispositif donne du relief et impose plusieurs niveaux de lecture.

D’abord, en passant d’une scène à l’autre, d’un couple d’acteurs à l’autre, d’une mise en scène à l’autre; "Eurydice" affiche l’âge de ses comédiens. Même si certains trouveront l’œuvre d’Anouilh datée. Le théâtre est une matière qu’on malaxe, génération après génération, transformation après transformation. Eurydice ne peut disparaître tant qu’Orphée, le metteur en scène, la sort de l’enfer de l’oubli.

Ensuite, chaque acteur est une voix, un son, une vibration. La petite musique de l’un n’est pas celle de l’autre. Et en changeant d’interprètes en cours de partition, on entend mieux leurs différences, la sonorité de chacun est plus précise. Resnais les utilise en mélomane et en humble mélomane, il les remercie, car il sait qu’il n’est rien sans ses acteurs.

Enfin, on ne peut s’empêcher de voir, dans "Vous n’avez encore rien vu", Alain Resnais organiser de façon ludique sa propre veillée funèbre. Depuis toujours, depuis "Nuit et Brouillard" en 55, son œuvre se préoccupe de la mort. Il peut en parler, et à 90 ans, il nous dit que la mort est douce, c’est la vie qui est douloureuse quand elle s’accroche, alors qu’elle sait la partie perdue.

Avec "Vous n’avez encore rien vu", Alain Resnais n’a pas menti sur le titre. C’est à la fois un film qui ne ressemble à aucun autre, tout en intégrant les caractéristiques majeures de l’auteur de "Hiroshima mon amour", "Mon oncle d’Amérique", "Providence" et "On connaît la chanson"

Réalisation : Alain Resnais. Scénario : Laurent Herbiet, d’après l’œuvre de Jean Anouilh. Avec Mathieu Amalric, Pierre Arditi, Sabine Azéma 1h 55.

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