Une comédie vintage

Rester au village, passer sa vie derrière le comptoir de l’épicerie familiale, Rose n’en veut pas, elle veut être moderne - comme on veut être contemporain aujourd’hui - en devenant secrétaire. Un jour, elle fait sa valise, monte dans le bus qui la mène à la métropole la plus proche Lisieux.

Fernand Denis

Rester au village, passer sa vie derrière le comptoir de l’épicerie familiale, Rose n’en veut pas, elle veut être moderne - comme on veut être contemporain aujourd’hui - en devenant secrétaire. Un jour, elle fait sa valise, monte dans le bus qui la mène à la métropole la plus proche Lisieux.

Pourquoi M. Louis l’a-t-il engagée ? Après l’avoir vu taper à deux doigts, il aurait dû dire : "Suivante", mais les index tapaient tellement vite qu’on aurait cru qu’ils étaient dix.

Drôle de bonhomme ce M. Louis. La trentaine sportive, l’allure décontractée, donnant du "Mon chou" par-ci par-là, avec une belle pointe d’assurance. Normal, l’assurance, c’est son business. Mais en y regardant de plus près, M. Louis est très coincé, carrément verrouillé de l’intérieur. Ces deux-là, le spectateur l’a vu de suite - d’ailleurs Rose et M. Louis aussi -, sont faits l’un pour l’autre comme Dolce & Gabbana, Standard & Poor’s, Stone & Charden Sauf que M. Louis voit d’abord Rose en championne de vitesse dactylographique de la Basse-Normandie.

Dès le générique, Régis Roinsard imprime le ton alerte, pimpant et acidulé des comédies américaines des fifties façon "Confidences sur l’oreiller" avec Rock Hudson et Doris Day. Une comédie vintage comme on dirait aujourd’hui. Pendant que Rose tapuscrite "Madame Bovary" à l’entraînement, le décorateur s’en donne à cœur joie, tant dans le salon vieillot de papa que dans le confort moderne avec les robes kitsch, les accessoires flashy, les coiffures choucroute et les Panhard toutes en courbes. A chaque instant, on s’attend à voir débouler la toute jeune B.B. en jupe Vichy. Mais c’est Lisieux pas Saint-Tropez ! Le musicien, non plus, n’est pas en reste, il a potassé son Mancini sur un air très pink (panther).

Dans cet univers vernis comme ses doigts - et il y a une bonne raison à cela - Rose impose un sacré tempérament. S’il faut être championne pour dessiller son patron, elle le deviendra. Le scénariste en profite pour multiplier les situations et s’abandonner à la psychologie de milk-bar.

De toute façon, on a d’yeux que pour Déborah François. La mère de "L’Enfant" poursuit son chemin de cinéma avec des hauts et puis des bas, mais elle a empoigné ce beau rôle dans une comédie populaire avec fougue irrésistible. Elle lui insuffle de la fraîcheur, de l’understatement, du peps, de l’émotion, de la colère, de la séduction. Elle est l’interprète idéale, imprime des petits caractères à l’héroïne avec un sens parfait de la distance. Ni trop ni trop peu, elle se tient idéalement en équilibre sur le fil de la complicité avec le spectateur.

C’est fini l’attitude réservée de "La tourneuse de pages", c’est elle qui est devant le clavier maintenant.

Et en plus, elle prend toute la lumière. Romain Duris, lui, admire le travail, un peu estomaqué tout de même. Il se tient en retrait, envoie son ego promener et laisse faire l’alchimie, tant le couple existe à l’écran.

Faut dire que Régis Roinsard se démène pour ressusciter ces compétitions de dactylo. Il se donne avec enthousiasme et jubilation. Il faut le voir mettre en scène le premier duel, voir ses travellings en allers-retours comme les mouvements du chariot. Ses circonvolutions autour des concurrentes comme celles du ruban autour de sa bobine. Il jette d’emblée toutes ses forces au point qu’il lui manque un peu de souffle sur la fin.

Mais au-delà du brio de la comédie romantique, au-delà de la savoureuse naïveté rétro - imagine-t-on aujourd’hui des tournois de SMS à un ou deux pouces ? -, le récit n’en montre pas moins le chemin parcouru, en un demi-siècle, vers l’égalité des sexes.

Par petites touches.

Réalisation : Régis Roinsard. Scénario : Régis Roinsard, Daniel Presley, Romain Compingt. Images : Guillaume Schiffman. Avec : Romain Duris, Déborah François, Bérénice Bejo 1h51.

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