Django Unchained: le Black, la Brute et l’Allemand
Le titre est trompeur. S’il évoque explicitement "Django", western-spaghetti de Sergio Corbucci (1966), ce n’est pas un remake, même si Tarantino joue avec les codes du genre.
- Publié le 16-01-2013 à 04h15
- Mis à jour le 16-01-2013 à 08h54
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Le titre est trompeur. S’il évoque explicitement "Django", western-spaghetti de Sergio Corbucci (1966), ce n’est pas un remake, même si Tarantino joue avec les codes du genre. Après avoir donné à une poignée de GI’s américains l’occasion d’assassiner Hitler et ses séides - au mépris de l’Histoire - dans "Inglorious Basterds", Tarantino se paie le luxe de revisiter l’esclavagisme. Le récit se situe au Texas en 1858, avant la guerre de Sécession. Est-ce pour s’excuser auprès du public allemand de son précédent film ? Le seul homme blanc humaniste de "Django Unchained" vient de la patrie de Goethe. Chasseur de primes, certes, le docteur King Schultz (Christoph Waltz), ex-dentiste, n’en affranchit pas moins un esclave, Django (Jamie Foxx). D’intéressée (Django connaît des truands qu’il traque), puis pragmatique (Django se révèle être un tireur-né), l’association de Schultz avec l’affranchi devient bientôt généreuse, lorsqu’il s’agit de retrouver et de libérer la femme de Django (Kerry Washington), vendue à un planteur adepte des combats d’esclaves (Leonardo DiCaprio).
Dès la scène d’ouverture, fabuleuse, autant par son humour que par sa tension et sa symbolique politique, Tarantino se plaît à replacer l’homme noir américain au cœur de son Histoire. Et il fallait Tarantino pour oser une transposition d’une geste détournée par la propagande nazie en conte antiesclavagiste : la compagne de Django se prénomme Broomhilda (Brunehilde), comme la dulcinée de Siegfried, héros des Nibelungen.
Avec un récit plus linéaire (quasi classique, même) et plus dense qu’à son habitude (mais un chouïa longuet : 2h45 !), Tarantino s’appuie essentiellement sur ses acteurs. Révélation oscarisée d’"Inglorious Basterds", Christoph Waltz rafle à nouveau la mise avec une composition de haut vol en chasseur de primes allemand et raffiné. Son art déclamatoire fait merveille dans des dialogues sur mesure, où l’anglais de son personnage est plus châtié que celui des Américains qu’il croise ("Speak English !" réplique-t-on à ses tournures élaborées et son vocabulaire précis). A ses côtés, Jamie Foxx, d’une sobriété exemplaire, traduit l’évolution d’un ex-esclave s’affranchissant de la peur et trouvant dans sa nouvelle liberté (et son habilité aux armes) une assurance croissante. En marchand d’esclaves jouisseur, cyniquement sadique et viscéralement suprématiste, Leonardo DiCaprio est délicieusement détestable et sous contrôle de son réalisateur, qui lui évite les excès de cabotinage de sa chère Méthode. Enfin, Tarantino a offert à son vieil ami Samuel L. Jackson une composition proprement terrifiante.
Film d’acteurs, donc, et de dialoguiste (le premier talent de Tarantino) plus que d’effets ou d’afféteries narratives, "Django Unchained" est moins "spaghetti" qu’on pouvait le redouter. Posée, sa mise en scène évoque le western classique, exploitant la majesté des espaces. Dans une séquence d’ellipse temporelle, QT se paie même le luxe de citer celle, similaire, de "La prisonnière du désert" de John Ford, bisons dans la neige inclus. Les autres références que distillent Tarantino sont, de même, affaire de plaisir : Franco Nero vient saluer le personnage qu’il interpréta jadis, Don Stroud, Bruce Dern, Michael Parks, Don Johnson sont autant de seconds rôles truculents, jusqu’à l’apparition de Tarantino himself (avant sa sortie de scène, explosive). Quelques patronymes convoquent encore une palette de souvenirs cinéphiliques (le gang Bacall, la famille von Shaft, dont une esclave a appris à parler allemand !). Surtout, l’humour de Mister Q fait merveille. Personne d’autre que lui n’aurait pu réussir sans tomber dans le mauvais goût une séquence tournant en dérision les encagoulés du Ku Klux Klan - et, partant, tous leurs sinistres héritiers ou cousins obscurantistes, racistes ou intolérants.
Réalisation et scénario : Quentin Tarantino. Avec Christoph Waltz, Jamie Foxx, Leonardo DiCaprio, Samuel L. Jackson, 2h45