Tout le monde se lève pour dire "No !"

En 1988, sous la pression de la communauté internationale, le général Augusto Pinochet organise un référendum destiné à le maintenir au pouvoir. Pour respecter un semblant de vernis démocratique, le régime accorde à chaque camp un temps d’antenne télévisée : 15 minutes quotidiennes pendant 27 jours. Le reste des médias restant à la botte du pouvoir, peu nombreux sont ceux qui croient possible une victoire de l’opposition et du "No" au général. Bon gré, mal gré, la coalition de gauche décide quand même d’exploiter son temps d’antenne. Pour mettre en scène celui-ci, elle fait appel à un jeune publicitaire, René Saavedra.

Alain Lorfèvre

En 1988, sous la pression de la communauté internationale, le général Augusto Pinochet organise un référendum destiné à le maintenir au pouvoir. Pour respecter un semblant de vernis démocratique, le régime accorde à chaque camp un temps d’antenne télévisée : 15 minutes quotidiennes pendant 27 jours. Le reste des médias restant à la botte du pouvoir, peu nombreux sont ceux qui croient possible une victoire de l’opposition et du "No" au général. Bon gré, mal gré, la coalition de gauche décide quand même d’exploiter son temps d’antenne. Pour mettre en scène celui-ci, elle fait appel à un jeune publicitaire, René Saavedra.

Présenté l’année dernière à la Quinzaine des Réalisateurs, au Festival de Cannes, "No" de Pablo Larraín a été longuement applaudi. Le réalisateur chilien était déjà passé par la Croisette en 2008 avec "Tony Manero", histoire d’un homme se rêvant comme le sosie de John Travolta, période "La Fièvre du samedi soir", dans le Chili de Pinochet de la fin des années 70. Deux ans plustard, "Santiago 73, postmortem" revenait sur les débuts de la dictature.

Avec "No", Larraín clôt donc ce qui est devenu une trilogie sur deux décennies de pinochisme.

Qu’on ne s’y se trompe pas : il n’est pas nécessaire d’être féru d’histoire ou de politique latino-américaine pour apprécier "No". Le film, au contraire, est d’une criante actualité et universalité. Il n’y est rien de moins question que de l’art de "vendre" la politique - et la démocratie - comme un pur produit de consommation, au même titre que de la poudre à lessiver ou des sodas. L’intérêt du film est toutefois de nous ramener à une époque prénumérique : pas d’Internet, de blogs, de réseaux sociaux. Juste une télévision d’Etat et une ère encore un peu naïve, même si, en France, par exemple, un Séguéla avait déjà fait sienne les méthodes du libéralisme commercial pour porter au pouvoir un président socialiste.

Le héros de "No" est tout sauf un militant politique. René, fils d’exilé, a grandi aux Etats-Unis. Il est un fils de pub. Il se rend au travail sur son skateboard, achète l’un des premiers modèles de four à micro-ondes. Quand ses "clients" de la gauche chilienne lui exposent leurs idées - faire par exemple le décompte des victimes du régime - il les balaie d’un revers de la main : vendez du rêve, pas une revanche, visez la classe moyenne (jusque-là, "majorité silencieuse" de Pinochet) pas les radicaux qui vous sont acquis.

Larraín a eu l’excellente idée, dans sa reconstitution vaguement dramatisée (Renée est une création fictive, agrégeant deux communicants réels), d’intégrer les authentiques spots de l’époque, chorégraphies naïves sur des rythmes pop eighties. Larraín a poussé la logique jusqu’au bout, en filmant avec une caméra U-Matic de 1983, au format 4/3. Une image rétro qui, paradoxalement, retire aux pubs de l’époque leur verni coloré, créant une juste distance pour le spectateur des années 2000, tout en le replongeant dans le Chili un peu terne de ces années-là.

Sous la recréation assez truculente de cette singulière campagne, Larraín n’en omet pas moins la réalité de l’époque : René, d’abord apolitique et acceptant le contrat plus par défi et arrivisme que par conviction, va subir les pressions du régime et de son patron (qui travaille pour le camp d’en face). De fil en aiguille, il s’implique dans les meetings, où il est témoin de la violence du régime.

Par un sens remarquable de la métaphore et de l’ellipse, Larraín livre un constat somme toute iconoclaste : le "No" ne l’a pas emporté parce que les Chiliens rêvaient d’une société plus juste, mais parce que les communicants du "Si" étaient nuls et dépassés - engoncés dans leurs vieux réflexes propagandistes, leurs vieux réflexes et leurs messages imprécatoires. Tel les Républicains aux Etats-Unis en 2008, Sarkozy en France en 2012 ou les partis traditionnels en Italie en 2013.

Réalisation : Pablo Larraín. Scénario : Pedro Peirano. Avec Gael García Bernal, Alfredo Castro, Antonia Zegerz, 1h55

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...