Patrice Chéreau est décédé

Acteur, réalisateur, scénariste, metteur en scène: Patrice Chéreau est décédé ce lundi à 68 ans d'un cancer du poumon. L'homme de théâtre et de cinéma laisse derrière lui un travail artistique remarquable. On lui doit notamment "L'homme blessé" et "La Reine Margot".

M.Ba. et F.Ds
Patrice Chéreau est décédé
©AFP

Boulimique de travail, Patrice Chéreau travaillait ces temps derniers sur "Comme il vous plaira" de Shakespeare, avec entre autres Clotilde Hesme et Gérard Desarthe. Une nouvelle mise en scène programmée au théâtre parisien de l’Odéon de mars à juin prochain. Et venait de créer cet été, à Aix-en-Provence, "Elektra" de Strauss.

Né parmi les images, de parents peintres, en 1944, il voit dès l’enfance des expositions, des spectacles. Élève du lycée Louis-le-Grand, il en rejoint la troupe de théâtre et fait ses premiers pas sur les planches, se lance dans la mise en scène et la création de costumes et de décor. Allemand et lettres classiques seront esnuite l’objet de ses études. Il a 22 ans quand, en 1966, il prend la tête du Théâtre de Sartrouville. Très tôt, ses options scéniques divisent l’opinion. Sa mise en scène des "Soldats" de Lenz, en 1967, lui vaut le Prix du Concours des Jeunes Compagnies.

Le Ring

En 1969, Sartrouville en faillite lui fait prendre la direction de l’Italie où il rejoint le Piccolo Teatro de Milan, sans cesser de travailler en France. De 1971 à 1977, il dirige avec Roger Planchon et Robert Gilbert le Théâtre national populaire de Villeurbanne, avec une ligne qui s’inscrit dans le sillage de Mai-68.

En 1976, à l’invitation de Pierre Boulez, Chéreau s’attaque à la Tétralogie de Wagner, pour le centenaire de l’Opéra de Bayreuth. Un "Ring" sur lequel il travaillera jusqu’en 1980. Dans l’intervalle, il aura également mis en scène "Lulu" d’Alban Berg. La reconnaissance internationale du monde de l’opéra le cueille.

Aux Amandiers, à Nanterre, qu’il rejoint en 1982 et dirige jusqu’en 1990, Chéreau fait connaître l’œuvre de son ami Bernard-Marie Koltès, à commencer par "Combat de nègre et de chiens". Il alterne contemporains (Koltès, Müller, Genet) et classiques (Marivaux, Mozart…) avec le même bonheur et un style qui allie lyrisme et puissance esthétique, mêlé d’expressionnisme.

Il y a tout juste un an, au début d’octobre 2012, Patrice Chéreau était l’invité d’honneur de la Monnaie et de la Cinémathèque royale. Il avait à cette occasion donné un entretien à "La Libre", avait défini son travail comme "artisanal". Entre théâtre et cinéma, "on répète que la différence tient à la présence des acteurs, à la catharsis, etc. mais moi, je ne fais pas de différence entre cinéma et théâtre qui sont deux techniques pour raconter des histoires. D’ailleurs, quand je tourne un film, je suis avec des acteurs présents avec des corps vivants, comme au théâtre. Et le risque pour l’acteur est le même. Jouer chaque soir devant un public ou un jour devant une caméra est chaque fois risqué." Si le cinéma, la télévision, le web n’ont pas tué le théâtre, c’est que "le théâtre est immortel. Il existera toujours des gens qui se lèveront devant d’autres gens."

Patrice Chéreau, qui a magnifié les classiques, a aussi été un grand découvreur de textes. Que cherchait-il chez Jon Fosse, Guyotat, Dostoïevski, Duras ? "Je ne cherche rien mais très vite je vois si un texte me touche et crée chez moi une émotion. C’est comme quand on lit un roman ou découvre une pièce, on se rend très vite compte si on sera touché ou pas. Mais après l’émotion, il y a le travail, long et difficile, qui prend de l’énergie."

Ceux qui l’aiment prendront-ils le train?

Parmi la dizaine de longs métrages qu’il a réalisés, ce film de 1998 est sans doute le plus réussi. Star de la scène, théâtre et opéra, il y respecte l’unité de temps et d’action décomposée en trois actes. Mais avec une réelle maestria, il y empoigne les outils spécifiques du cinéma, non pour prouver qu’il est digne de porter une deuxième casquette, mais pour communiquer une gamme de sensations qui semblent inexprimables par d’autres moyens. Tout au long des 24 heures qu’illustre "Ceux qui m’aiment prendront le train", le spectateur est l’invisible invité des funérailles d’un peintre. Il ne connaît personne et il s’accroche à des bouts d’histoires. Il n’a rien d’autre à faire et regarde cela à distance. Pas brechtienne. Juste de la curiosité, jamais d’identification. Quelque chose se passe. Une émotion prend, pas sous l’effet d’un coup de théâtre mais d’une dramaturgie. Au-delà de cette mise en scène époustouflante de l’auteur de "La Reine Margot", Chéreau plaide en faveur de la famille qu’on se choisit contre celle que le destin impose. Il obtiendra le César du meilleur réalisateur pour ce sixième film.

Il avait abordé le cinéma dès 1974 avec "La Chair de l’orchidée", un polar, et puis "Judith Therpauve", pas le plus grand rôle de Simone Signoret. En 1994, "La Reine Margot" obtiendra le prix du jury au festival de Cannes, mais le cinéaste le prendra comme un affront. C’est rien de moins que la Palme d’or qu’il visait avec cette évocation baroque du massacre de la Saint Barthélémy avec une Isabelle Adjani momifiée, avant même d’être botoxée. Cette superproduction fut un échec et les années ne sont pas venues à son secours. Dès lors, Patrice Chéreau fut réduit à des œuvres moins ambitieuses et très intimes, abordant des conflits sentimentaux comme dans "Gabrielle" ou sexuels dans "Intimité".

Sa carrière au cinéma se termine en 2009 avec "Persécution". Romain Duris et Charlotte Gainsbourg y dissèquent leurs sentiments comme un médecin examine un noyé ayant séjourné des mois dans la vase. Personne n’avait osé une œuvre aussi antipathique. De ses films, on gardera le souvenir d’une direction d’acteurs qui a mis particulièrement en valeur les qualités de Dominique Blanc et Pascal Greggory, mais aussi Kerry Fox et Jean-Hugues Anglade, "L’Homme blessé".

En septembre 2012, Guy Duplat, journaliste de La Libre, interrogeait Patrice Chéreau. Découvrez cette interview en cliquant ici.


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