"Behind the Candelabra" : Sexe, mensonges et piano

Soderbergh brosse un époustouflant portrait de l’excentrique pianiste américain. Avec Michael Douglas et Matt Damon, exceptionnels.

Denis Fernand
"Behind the Candelabra" : Sexe, mensonges et piano

Le candélabre est à Liberace ce que le nœud papillon est à Elio Di Rupo, son logo, son accessoire posé sur son piano à facettes trônant sur l’immense scène d’un casino de Las Vegas. Il en fut une des plus célèbres attractions, un symbole de la ville casino durant les années 60-70. Parce qu’il avait le sens du public. Parce qu’il aimait lui en mettre plein la vue. Parce que ses doigts bagouzés sprintaient d’un bout à l’autre du clavier et du répertoire. Parce qu’il éblouissait avec ses costumes extravagants, ses mises en scène strassantes. Liberace était une sorte de Lady Gaga de l’époque, un roi du kitsch.

Soderbergh emballe cette partie "show", ce volet musical, lors d’une séquence inaugurale époustouflante. Tout à la fois, elle pointe la virtuosité du pianiste, ses caractéristiques et son impact sur un public paradoxal. C’est, en effet, l’Amérique profonde et viscéralement homophobe qui fait un triomphe à cette grande folle.

C’est fini, ou presque, pour le spectacle musical, on passe alors derrière le candélabre, direction les coulisses où l’on assiste au changement cruel de mignons. Un vieil ami de Liberace a emmené avec lui un jeune gay dans la loge de la star. Le garçon qui vient de la campagne est émerveillé par le luxe rutilant, impressionné par la proximité avec la vedette. Celle-ci aime la chair fraîche, le trouve appétissant et le ramène à la maison. Et quelle maison, croisement improbable d’une villa romaine et d’un showroom du tape-à-l’œil, un vrai palais du mauvais goût.

Soderbergh développe alors la relation entre Liberace et son jeune ami Scottie. Soit une histoire de sexe, mais d’amour aussi. Avec de la séduction, de la tendresse, de la passion, de la possession, de l’usure, de l’infidélité, de la jalousie, de la tension, de la rupture.

Une vraie passion, mais singulière. Il y a les protagonistes, bien sûr, une célébrité haute en couleur au style tapageur et aux idées délirantes. Ainsi l’interprétation de la Bible par ce catholique fervent est particulièrement gratinée, son arbre généalogique remonterait-il jusqu’aux Borgia ? Mais c’est moins cette dimension "folle" qui rend l’histoire singulière, c’est la volonté de Liberace d’être bien davantage que le partenaire du jeune Scottie. Il entend être son père au point de vouloir l’adopter afin d’offrir un véritable foyer à cet orphelin élevé en famille d’accueil. Et l’amour selon Liberace ne s’arrête pas là, il veut aussi que son Scott lui ressemble, au point de solliciter la chirurgie esthétique afin qu’elle le façonne à sa propre image. Comme s’il voulait faire l’amour avec lui-même, en somme.

Soderbergh propose simultanément un biopic, une love story aux normes de Frankenstein, et une prise d’air du temps, celui d’une société homophobe qui adule pourtant cet homosexuel extraverti, lequel a la prudence de ne pas coming outer, d’organiser une communication bidon et de nier farouchement au besoin.

Incarner Liberace est évidemment un sacré défi. Michael Douglas a l’intelligence de le relever, sans en rajouter, dans l’excentricité. C’est un rôle sur mesure pour les oscars et il faut être un acteur d’exception, pour à la fois rendre crédible le pianiste, le personnage, tout en tenant la caricature à distance et en accédant à l’humanité complexe de cette personnalité. Mais cette performance (dans le meilleur sens du terme) ne prend toutes ses nuances que face à un partenaire tout aussi épatant. Dans le rôle de Scottie, Matt Damon est fabuleux. C’est en subtilité qu’il rend compte des métamorphoses de cet adolescent. Débarqué d’un coin perdu, il est plongé dans le luxe, devient homme à tout faire d’un démiurge dont il est sincèrement amoureux, soumis à une tyrannie qui s’attaque à son intégrité physique et le fait basculer dans la confusion, la drogue.

Si c’est le dernier film de Soderbergh - au cours du générique final, il semble utiliser des propos de Liberace pour faire une déclaration d’amour en forme d’adieu à son public -; l’auteur de "Sexe, Mensonges et vidéo" aura terminé en beauté.

Réalisation : Steven Soderbergh. Scénario : Richard LaGravanese, d’après "Behind the Candelabra, My Life with Liberace" de Scott Thorson. Avec : Michael Douglas, Matt Damon, Dan Aykroyd, Rob Lowe… 1h59.


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