"La Vénus à la fourrure" : Polanskissime
Viscéralement auteur, Roman "Polanskise" avec humour l’œuvre originelle du sadomasochisme.
Publié le 13-11-2013 à 05h40 - Mis à jour le 20-11-2013 à 08h13
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Polanski adaptant "La Venus à la fourrure", l’ouvrage de Leopold von Sacher-Masoch - qui donna son nom au masochisme - avec dans le rôle-titre, sa propre femme Emmanuelle Seigner, voila qui promettait une œuvre sulfureuse, provocante.
A la suite d’un plan d’ouverture hypnotique et vaguement inquiétant, on pénètre dans un théâtre hors service. Le décor du dernier spectacle est toujours en place, un carton-pâte de Monument Valley avec des cactus, souvenir d’une production belge de "La chevauchée fantastique" en comédie musicale. C’est kitsch, c’est prémonitoire, c’est pas la dernière des surprises.
Un metteur en scène (Mathieu Amalric) se prépare à quitter les lieux au terme d’une journée d’auditions. Déboule, en retard et trempée, une comédienne qui insiste pour passer hors des délais. C’est Emmanuelle Seigner, elle en fait des tonnes dans le but de faire rire, surjouant une actrice de troisième zone, gouailleuse. Le rôle est sur les mesures de sa sœur Mathilde. Polanski s’est-il trompé de Seigner ? Ça fait peur. Est-ce son film de trop ? Une fausse bonne idée en forme de cadeau à sa moitié ?
Ne sachant pas comment s’en débarrasser, le metteur en scène accepte de l’auditionner. Dans son for intérieur et celui du spectateur, son idée est faite. Emmanuelle Seigner monte sur scène, empoigne le texte et il se produit alors quelque chose de vraiment magique, on la voit rentrer et sortir du personnage, ou plutôt passer de la personne au personnage, de la brute de décoffrage à la comédienne subtile, juste en variant de ton.
Au-delà de la performance tout à fait bluffante, on a le sentiment d’assister simultanément à une représentation de la pièce de David Ives inspirée de "La Venus à la fourrure" et à une explication de textes, une sorte de "SM pour les nuls". C’est d’autant plus vivant et passionnant, que ce commentaire se compose à la fois d’un débat entre les deux protagonistes dont les interprétations sont contradictoires, et d’une mise en abyme. En effet, ce rapport sadomasochiste est typique du théâtre, du cinéma, de la relation comédienne/metteur en scène. Et en choisissant Mathieu Amalric qui lui ressemble comme un lutin, Polanski ajoute de la perspective, celle des rapports au sein d’un couple. Son propre couple ?
Un décor, un livre, deux acteurs, le réalisateur du "Locataire" - qu’il autocite à la fin en se déguisant - Polanski n’a besoin de rien d’autre pour trousser un film passionnant. Il y a du défi dans cette volonté à rendre purement cinématographique un matériau ostensiblement théâtral. Dans la foulée de "Carnages", on admire sa capacité à métamorphoser un art dans un autre. Sa direction d’acteur est aussi phénoménale que jubilatoire. Un comédien qui joue faux ou qui joue juste, cela tient à très peu de choses et Polanski le fait entendre distinctement au spectateur, considéré ici comme un mélomane.
Enfin, Polanski illustre à sa manière la notion d’auteur, c’est-à-dire sa capacité à s’approprier une œuvre, à la faire sienne. Il s’agit bien sûr de la double mise en abyme, professionnelle et personnelle, de l’opportunité saisie de régler quelques comptes, mais encore de proposer un regard lumineux et imprévu. On s’attendait à une œuvre transgressive, subversive, et voilà que la "Venus à la fourrure" est tout à la fois une comédie jouissive, un exposé psychologique, une illustration du pouvoir féminin et une réflexion poussée sur l’art dramatique.