"Aimer, boire et chanter": La mort, comme la vie , côté fun !

Resnais livre une comédie testamentaire sur le temps impossible à rembobiner.

Hubert Heyrendt
"Aimer, boire et chanter": La mort, comme la vie , côté fun !

La vie doit être fun !" Pas mal comme mot de fin à la filmographie d’Alain Resnais, décédé le 1er mars dernier, quelques semaines seulement après avoir mis la dernière main à "Aimer, boire et chanter"… Surtout lorsque ces mots sont prononcés autour d’un cercueil ! Celui de George Riley en l’occurrence. Au début du film, on apprend que ce sexagénaire séduisant, qui fait toujours tourner le cœur des femmes, est atteint d’un cancer et n’a plus que six mois à vivre. Ses amis, qui répètent une pièce de théâtre, vont l’accompagner dans les derniers moments. Absent de l’écran, Riley fonctionnera, pour les personnages de cet étonnant vaudeville, comme un miroir. À travers lui, c’est en effet d’eux qu’ils parlent, c’est leur jeunesse dont ils se souviennent…

Arrivé à l’aube de la vie, Alain Resnais a choisi de finir en beauté, sur un dernier film libre, vivant, jeune. À 91 ans, il adaptait à nouveau son auteur de chevet, le Britannique Alan Ayckbourn, comme dans "Cœurs" et "Smoking/No Smoking". Le ton est toujours aussi léger mais le film possède un côté forcément testamentaire…

À l’occasion de ce dernier tour de piste, Resnais a réuni ses fidèles Sabine Azéma et André Dussolier, mais aussi Hippolyte Girardot, Michel Vuillermoz, Caroline Silhol et une petite nouvelle, Sandrine Kiberlain. Resnais les inscrit dans un dispositif qui reprend celui de "Smoking/No Smoking" pour le pousser à son terme. Cette fois - et Resnais s’en amuse dans le film, faisant dire à Dussolier : "Moi je préfère le ciné…" -, on est clairement au théâtre. Ou plutôt dans l’artifice, qui a été l’une des marques de fabrique de son cinéma. Fait de tentures, cartons peints et quelques pièces de mobilier, chaque décor est introduit par un dessin du dessinateur Blutch. Tandis que le cinéaste pousse ses comédiens à un jeu très théâtral. Le résultat est un objet hybride, où les comédiens sont tout à la fois devant la caméra et sur scène. Une scène où le vieux cinéaste peut à nouveau réfléchir à la trace qu’il laissera.

Il est beaucoup question du temps dans la pièce d’Ayckbourn. Le temps qu’on essaie de maîtriser, d’arrêter quand on est heureux, de rembobiner quand on est malheureux. Du temps qui, in fine, s’arrête évidemment.

Resnais a changé le titre original de la pièce, "The Life of Riley", en "Aimer, boire et chanter". S’il n’est pas question de chansons ici (un autre pan de l’œuvre de Resnais avec "On connaît la chanson" et "Pas sur la bouche"), on aime beaucoup et on boit un peu sur la scène du petit théâtre d’Alain Resnais. Un changement révélateur de la volonté du cinéaste de tirer le film, au destin aussi funeste soit-il, vers la joie, la bonne humeur. Dans "Cœurs", Resnais avait déjà mis en scène sa propre mort. Ici, autour du cercueil de George Riley (et donc un peu le sien), il invite à rire, à être "fun", comme on dit dans ce coin de la campagne anglaise qu’il aura su faire sien. Difficile d’imaginer façon plus joyeuse de s’en aller…

Réalisation : Alain Resnais. Scénario : Laurent Herbiet et Alain Resnais (d’après la pièce "The Life of Riley" d’Alan Ayckbourn). Photographie : Dominique Bouilleret. Musique : Mark Snow. Montage : Hervé de Luze. Avec Sabine Azéma, Caroline Sihol, Hippolyte Girardot, André Dussolier, Michel Vuillermoz, Sandrine Kiberlain… 1h48.


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