"Dans la cour": Le gardien d’immeuble qui voulait dormir
Insomnie, dépression, fissure, comédie. Cherchez l’intrus !
Publié le 22-04-2014 à 15h22
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Insomnie, dépression, fissure, comédie. Si on ajoute à la liste, un seul nom, Salvadori, il n’y a plus d’intrus et cela donne "Dans la cour".
Antoine est chanteur rock. Sur scène, son groupe joue l’intro, rejoue l’intro, rerejoue l’intro mais Antoine est incapable de quitter sa loge malgré les plombs de son manager qui pètent les uns après les autres. Quand il se lève enfin, c’est pour traverser les planches une valise à la main. Beau comme du Lubitsch. Il a de la classe Salvadori et je ne vous dis pas la fin. Ou plutôt, je ne vous mets pas au parfum.
Rocker, toxico, insomniaque, Antoine (Gustave Kervern) s’est fait rattraper par la dépression profonde, brutale, financière aussi. Car même s’il n’en a plus le goût, il faut bien vivre. L’ANPE lui a trouvé un emploi de gardien d’immeuble. L’entretien d’embauche est chaotique, Antoine ne sait pas se vendre, il ment mal. Précisément, la syndic de la copropriété trouve cela rassurant. Pour elle, cela signifie qu’il ne ment pas souvent. Elle a l’intuition qu’il est l’homme de la situation. Elle a raison, il prend son travail à cœur, même si ce n’est pas toujours à la bonne heure. Le nettoyage des escaliers à 3heures du mat n’est pas forcément apprécié par les locataires à la juste valeur de l’effort.
Dans cette cour, sur les pavés, parmi les vélos volés et les locataires avec leur petit caractère; Antoine a trouvé une forme de sérénité et le sommeil. Ne disait-il pas à sa conseillère de l’ANPE : "Nettoyer, dormir et ne plus penser, je pourrais tuer pour cela."
Par des chemins tortueux, la bonne intuition de Mathilde (Catherine Deneuve), fraîchement retraitée, se mue en complicité. Ils partagent le sentiment d’être du même bord, de la même faille. Car Mathilde souffre aussi d’insomnie depuis qu’elle observe la progression d’une fissure horizontale sur le mur de son appartement. Elle se sent à quelques millimètres du précipice, en proie à une peur panique au cinquième étage de son immeuble. Elle en est convaincue, tout va s’effondrer.
Comment Salvadori s’y prend-il pour faire rire avec la dépression, sans tricher, sans clichés, avec tellement d’humanité, tellement d’amour pour ses personnages.
D’abord, il ne rit jamais à leurs dépens mais des réactions des autres. Celle, par exemple, de l’homme de Mathilde quand il croit qu’un rouleau de papier peint suffira à lui faire oublier la fissure.
Ensuite, il a une façon de renverser les lieux communs - le lieu même du film - avec cette visite "thérapeutique" de la maison natale de Mathilde. Une scène qu’on imagine banale, aussi vite vue, aussi vite oubliée et qui va se révéler tout à la fois mémorable, hilarante et traumatisante.
Et puis, il a une façon perso d’utiliser les comédiens, de les pousser, de les révéler dans une direction parfois inattendue avec un José Garcia dépressif et une Sandrine Kiberlain atone dans "Après vous" mais pas forcément avec une Audrey Tautou hyper sexy dans "Hors de prix".
Catherine Deneuve et Gustave Kervern forment ici un duo aussi improbable qu’impeccable. Epatante dans "Elle s’en va", Catherine Deneuve remet cela "Dans la cour". Elle se renouvelle dans l’attaque de panique dynamique où son sens du rythme fait merveille, où son humanité trouve des voies singulières.
Quant à Gustave Kervern, on ne dira pas qu’il fait ici son "Tchao Pantin", mais qui l’imaginait capable d’une interprétation aussi intérieure, somnambule, amortie, inspirée, poignante ? Et complexe dans cette façon tranquille de suggérer l’abîme, d’exposer que la gentillesse et la solidarité ne sont pas des vilains mots mais dangereux et beaux.
Réalisation : Pierre Salvadori. Scénario : P. Salvadori et David Léotard. Avec : Catherine Deneuve, Gustave Kervern, Féodor Atkine… 1h37