Bruno Dumont, le rire et le noir
On ne s'attendait pas à rigoler à gorge déployée à la projection d'un film signé Bruno Dumont. Interview.
- Publié le 23-05-2014 à 09h35
- Mis à jour le 23-05-2014 à 09h36
On ne s'attendait pas à rigoler à gorge déployée à la projection d'un film signé Bruno Dumont. Oui, Bruno Dumont, le réalisateur de La vie de Jésus (1997), de Flandres (2006), de Hors Satan (2011). Auteur, volontier qualifié d'austère, Bruno Dumont a répondu à la demande d'Arte de signer une série télévisée - autre motif d'étonnement. P'tit Quinquin débute comme la chronique rurale d'une sombre enquête policière : on retrouve le corps décapité d'une femme dans le ventre du vache, elle-même retrouvée au fond d'un bunker inaccessible. Les deux flics chargés de l'enquête s'emmêlent les pinceaux au propre et au figuré et atterrissent les quatre fers en l'air. Le ton est donné : c'est les Monty Pythons à Twin Peaks (pour filer la référence télévisiuelle), Blake Edwards chez les Dardenne (pour rester au cinéma). Le tout observé par une bande de petites canailles des campagnes, qui balancent des pétards sur les touristes ou des injures racistes aux garçons de couleurs.
Qu'est-ce qui vous a amené vers la télévision et la comédie ?
Le commanditaire, à savoir Arte. Ils m'ont proposé de réaliser une mini-série de quatre fois cinquante-deux minutes - c'était la seule contrainte. Et comme il y avait longtemps que j'avais envie de faire une comédie, j'ai écrit un projet en ce sens. Et ils ont dit oui.
La contrainte du format ne vous dérangeait pas ?
Non. Nous, cinéastes, on a besoin de contraintes. C'est une idée fausse de croire qu'il faut nous laisser de la liberté. Pour moi, il n'y eut aucun problème.
Et à quand remonte ce désir de comédie ?
Je crois que c'est à force de tourner des drames. Je suis allé loin dans le drame - avec bonheur. Et j'avais sincèrement l'envie de passer de l'autre côté. L'équilibre est dans les deux. Mais je me suis longtemps demandé quelle comédie faire. Quand je voyais les comédies existant sur le marché, je n'avais pas du tout envie d'aller vers ça. Jusqu'à ce que je réalise que la comédie était pratiquement sous mes pieds. Il se passait souvent des choses drôles sur mes tournages, par exemple lorsque les acteurs se trompaient, se déréglaient. Le drame était souvent la source du comique. Dès lors, j'ai pris soin d'écrire un drame - car "Le P'tit Quinquin" est d'abord une enquête policière très sombre. Ce sombre offre une alternance au rire et au burlesque. Car le spectateur ne peut pas rire pendant 3h30.
Vous vous préoccupez donc du spectateur.
Bien sûr. Il y a un aspect biologique du spectateur qui m'intéresse. On peut se lasser même de la beauté. Nous sommes un organisme compliqué. Sur la durée, il faut faire passer le spectateur dans des bains de température différents. Je suis le premier spectateur. Je sens comment j'ai besoin de températures différentes. On a besoin des opposés. Depuis que j'ai fait La Vie de Jésus, je travaille dans les opposés. Pour le comique, j'ai fait pareil...
Vous êtes même parfois limite...
Oui, je suis à la limite des choses convenues ou de la bien-séance à certains moments. Mais il ne faut pas avoir peur de la bien-séance ou de la correction de certains. Il y a une convention sociale qui fait qu'on est parfois coincés dans une moralité qui est très bien en soin, mais on doit se permettre de se décharger. Il faut trouver l'équilibre pour ne pas tomber dans la provocation. Celle-ci survient on est systématique dans la provocation.
Vous avez utilisez le qualificatif de "burlesque". C'est l'humour que vous préférez ?
Le récit démarre sur un mode naturaliste, et puis il y a la scène burlesque où le commandant et son assistant tombent du bunker. J'aime la pantalonnade, le comique de Max Linder, de Laurel et Hardy, de Tati ou de Blake Edwards. Mais je ne voulais pas refaire ce qu'ils ont fait, et très bien. Il s'agissait de trouver mon comique à moi, de me parodier, en fait. Je retourne sur mes terres, où je cherche l'endroit qui est drôle. Ce qui intéressant dans le comique, c'est qu'il est de l'ordre de la transgression. Ce qui en fait de l'art, puisque tout art est transgression. Le bon comique n'est pas idiot. Il vient chatouiller notre duplicité ou notre hypocrisie. Un spectateur qui rit, c'est formidable, sans que ce soit pure distraction. Tati, c'est drôle, mais ce n'est pas que drôle. Il y a de la philosophie dans le comique.