"L'homme qu'on aimait trop": Rouge, impair et manque : faites vos hypothèses
André Téchiné aborde la toujours mystérieuse affaire Leroux comme un juge d’instruction des émotions.
Publié le 22-07-2014 à 15h42 - Mis à jour le 22-07-2014 à 15h43
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André Téchiné aborde la toujours mystérieuse affaire Leroux comme un juge d’instruction des émotions.Ce vingtième long métrage d’André Téchiné avec sa sœur de cinéma Catherine Deneuve - sept films ensemble et une longue amitié hors plateau - dégage un parfum particulier, celui de l’air du temps qui a passé.
Catherine Deneuve y accepte son âge, ce n’est pas Signoret mais elle ne se prend plus pour Belle de Jour. Et André Téchiné aussi. Il a passé l’âge des roseaux sauvages, des films fiévreux, alors il tourne désormais classique, limite académique. Du moins à première vue.
Cet homme qu’on aimait trop, c’est Maurice Agnelet, principal accusé d’une affaire judiciaire qui passionne la France depuis près de 40 ans. Elle a d’ailleurs connu de spectaculaires rebondissements entre la fin du tournage et la projection cannoise, ce qui a nécessité l’ajout de cartons en fin de film.
C’est l’histoire d’une disparition, celle d’Agnès Le Roux, en 1977. Pour sa mère, elle a été assassinée par son amant, Maurice Agnelet, un avocat qui avait poussé la jeune femme à lui confier sa fortune. Le dossier est complexe et palpitant et surtout il brasse une multitude de thèmes. C’est tout à la fois un combat économique entre deux entreprises pour la maîtrise d’un territoire, une lutte pour le pouvoir au sein d’une société, une passion incandescente, des relations orageuses entre mère et fille…
En l’occurrence, Mme Le Roux contrôle le Palais de la Méditerranée, un casino de Nice. Dans les années 70, elle entre en guerre avec Fratoni, propriétaire d’un autre casino, la machine à blanchir l’argent de la mafia avec la complicité du maire, Jacques Médecin. Dans son combat, Mme Le Roux est assistée d’un jeune avocat aux canines tellement longues qu’elle s’en méfie et finit d’ailleurs par l’écarter. C’est Maurice Agnelet, lequel cherche alors à se venger en séduisant sa fille, Agnès Le Roux et en la manipulant contre sa mère. Une fois parvenu à ses fins, la jeune femme disparaît mystérieusement. On ne la retrouvera jamais. Pas de corps, pas de crime.
Téchiné semble aborder cette affaire de façon très plan-plan, genre téléfilm de prestige avec casting de luxe et beaux décors. Toutefois, on se rend compte qu’il ne tourne pas à charge; ni à décharge mais qu’il se comporte plutôt en juge d’instruction des émotions. Ainsi, la place centrale est occupée par la victime. Adèle Haenel, la révélation de l’année, incarne cette Agnès Le Roux au caractère trempé - n’importe quel mois de l’année, elle plonge dans la Méditerranée - mais psychologiquement fragile. Elle nourrit pour son amant une passion abyssale. Mais celui-ci ne répond pas à ses attentes, ne répond même plus du tout, en fait. Abandonnée, n’a-t-elle pas préféré disparaître d’autant que cette trahison de son amant ravive sa propre trahison à l’égard de sa mère ?
Si Agnès Le Roux a pu disparaître de son plein gré, Maurice Agnelet avait néanmoins deux bonnes raisons de l’éliminer. Comme il lui a subtilisé tout son argent, elle ne lui est plus d’aucune utilité. Et puis, cet amour dévorant avait de quoi l’inquiéter, et pas seulement parce qu’il aimait papillonner.
Téchiné traque aussi le paradoxe. Pourquoi la mère Le Roux consacre-t-elle depuis 37 ans, tout son temps et tout son argent - au point d’être ruinée - à sa fille disparue alors qu’elle ne lui prêtait guère d’attention quand elle était "vivante" ?
Entouré d’une Catherine Deneuve aux multiples visages, de Guillaume Canet à la séduction brutale et Adèle Haenel d’une présence abrupte, Téchiné montre qu’il a toujours le niveau.
Le deuxième surtout.
Réalisation : André Téchiné. Scénario : André Téchiné, Cédric Anger d’après l’ouvrage "Une femme face à la mafia" de Renée Le Roux. Avec Guillaume Canet, Catherine Deneuve, Adèle Haenel… 1h56