Al Pacino, une légende sur le Lido
Samedi, le comédien américain présentait à Venise "Manglehorn" et "The Humbling". Deux rôles très différents où il se joue de son âge.
Publié le 31-08-2014 à 20h16
Acteur mythique, Al Pacino est un peu moins présent sur le devant de la scène ces dernières années. Non qu’il ne tourne pas, mais parce qu’il semble s’être définitivement tourné vers un cinéma d’auteur à la marge. Ainsi, depuis "Ocean’s Thirteen" en 2007, ne l’a-t-on plus vu à l’affiche d’une grosse production hollywoodienne. Trois ans après avoir présenté à Venise son très étrange documentaire "Wilde Salomé", l’acteur était de retour sur le Lido samedi avec deux films à la tonalité très différente, "Manglehorn" et "The Humbling", qui venaient rappeler avec bonheur l’étendue du talent de Pacino, tout aussi à l’aise dans le drame personnel que dans la comédie. Dans les deux cas, il incarne un personnage rattrapé par le temps qui a passé, par l’âge. Ce qui résonne certainement au plus intime de la star, désormais âgée de 74 ans.
La hantise de l’amour
Présenté en Compétition, Manglehorn est le nouveau film de David Gordon Green. Comme dans son dernier film, "Joe" (en Compétition l’année dernière à la "Mostra"), le cinéaste texan choisit comme personnage principal un homme hanté par son passé. Si, dans "Joe", ce passé était violent (Nicolas Cage y incarnait un ex-taulard prenant un jeune gamin sous son aile), la violence est ici psychologique. Serrurier solitaire, A. J. Manglehorn mène une vie simple, enfermé dans l’amour perdu pour une femme à qui il écrit tous les jours des lettres d’amour désespérées qui lui reviennent systématiquement avec la triste mention "retour à l’expéditeur"… Coupé de son ex-femme, ayant des liens très distendus avec son fils, sa vie monotone est marquée par ses passages à la banque, tous les vendredis, où il papote avec une jolie banquière (Holly Hunter) de l’état de leurs animaux de compagnie. Le seul amour qu’il semble encore capable de donner est en effet pour sa petite chatte blanche, Miss Fanny.
Si le polar "Joe" était marqué par un ton noir d’encre (à l’excès), "Manglehorn" se fait plus lumineux. Gordon Green affirme être parti de l’idée de faire un film pour enfants avec Pacino avant de dériver vers un film plus dramatique. Très inventive, libre et légère, la mise en scène parvient à transcender l’histoire de cet homme solitaire, à l’élever vers une réflexion plus universelle sur la solitude et la hantise de l’amour.
Dans sa réussite, le film doit beaucoup à l’interprétation de Pacino, qui campe avec beaucoup de délicatesse et d’humour ce vieillard solitaire et excentrique, qui semble ne plus rien attendre de la vie. Sinon une étincelle qui lui en redonnerait le goût…
Pacino en double de Roth
Le personnage de Pacino dans The Humbling n’est finalement pas si éloigné. Là encore, il s’agit d’un vieil homme solitaire à la recherche d’une seconde jeunesse. La tonalité est cependant très différente. Présenté samedi également hors compétition, "The Humbling" est l’adaptation du roman homonyme de Philip Roth paru en 2009 (en 2011 en français chez Gallimard sous le titre "Le Rabaissement"). Barry Levinson tire le roman vers la comédie pour narrer les heurts et malheurs de Simon Axler, grand comédien de théâtre qui met fin à sa carrière car il doute de son talent.
A l’écran, le numéro comique de Pacino est réjouissant. Le mimétisme entre l’acteur et son personnage, tous deux acteurs shakespeariens reconnus, est savoureux. Mais, même s’il a dû partager les doutes de Simon Axler, Pacino ne se livre pas à un autoportrait. Il se met au service du personnage imaginé par Philip Roth. Soit un vieillard dépressif qui tombe sous le charme (et les avances) d’une jeune femme qu’il a connue alors qu’elle était enfant (la toujours étonnante Greta Gerwig). Grâce au talent de Pacino, ce portrait de la vieillesse est sans fard mais jamais acide.
A travers ce personnage excentrique, "The Humbling" aborde la frontière ténue qui peut exister entre le génie et la folie, tout en illustrant avec malice la métaphore de Sénèque et de Shakespeare : la vie est une scène de théâtre dont nous sommes tous des acteurs. De quoi éveiller un écho surprenant (surtout dans la scène finale) avec "Birdman" d’Alejandro Iñárritu, présenté il y a quelques jours en ouverture de la "Mostra", et qui abordait la même question, celle de la difficulté de séparer l’art et la vie, l’imaginaire et la réalité.