Les "souvenirs" ciné d’Annie Cordy
En 2014, La Libre avait rencontré la chanteuse et actrice Annie Cordy. L'occasion de revenir sur sa carrière cinématographique.
Publié le 05-10-2014 à 19h30 - Mis à jour le 04-09-2020 à 21h52
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Combien de vies, Annie Cordy ? 10 000 galas, 700 chansons, 40 films, des opérettes, des pièces de théâtre, des émissions de télé. "Et des kilomètres, des millions de kilomètres en voiture", ajoute Annie Cordy, l’héroïne des "Souvenirs", le dernier film de Jean-Paul Rouve présenté au FIFF.
L’ex-Robin des Bois utilise notre tata Yoyo à contre-emploi. Elle joue une vieille dame très ordinaire qui doit rejoindre une maison de retraite. Le sujet est plombant mais le film ne l’est jamais car Jean-Paul Rouve trouve un équilibre entre humour et émotion. Il offre ainsi à Annie Cordy le rôle principal, ce qui ne lui est pas arrivé souvent. "Je n’ai jamais eu le temps", raconte la pétillante Annie Cordy qui turbine depuis près de 70 ans. "Quand on chante dans une opérette, une comédie musicale, on travaille tous les jours. C’est chouette quand un cinéaste vous propose un rôle. On s’arrange pour tourner en février pendant les trois semaines de relâche. Et puis, c’est reporté en avril et je ne suis plus libre. Cela a toujours été comme cela. Il y a tellement de films que je n’ai pas faits. Mais dans mon esprit, je ne suis pas une femme de cinéma."
Adapté du roman de David Foenkinos, "Les Souvenirs" offre l’occasion de réveiller ceux de cinéma d’Annie, quand elle s’appelait encore Léonie Cooreman.
C’était au temps…
"Le samedi soir, on allait au cinéma, à l’Astra ou au Christine, rue Marie-Christine à Laeken. Double programme, beaucoup de films américains et puis c’était un cornet de frites à 1 franc avec 25 centimes de piccalilli. Mais je n’étais pas une cinglée de cinéma. Je préférais le théâtre, voir les vraies gens. Au cinéma, vous loupez, vous recommencez. Au théâtre, vous vous trompez, votre partenaire se fout de vous, le public se marre mais moi je suis mal."
Elle fait pourtant ses débuts sur grand écran en 53 sous la direction de Sacha Guitry dans "Si Versailles m’était conté". "Il est venu me chercher, pour chanter une petite chanson. Il était adorable avec son chapeau et sa grande écharpe." Et puis ce fut un très gros succès, "Le chanteur de Mexico" avec Luis Mariano. "Une opérette filmée."
Dans les années 50 et 60, elle enchaîne les séries B avec l’un ou l’autre membre de sa joyeuse bande : Bourvil, Darry Cowl, Francis Blanche, Poiret et Serrault. "On nous faisait tourner des séquences entières d’une dizaine de minutes."
Aussi, elle est surprise lorsque René Clément l’appelle pour "Le passager de la pluie". " Un jour, je reçois un coup de fil de la production de René Clément. Je réponds ‘ça va Darry’ et je raccroche. Je jouais avec Darry Cowl à l’époque, il adorait faire des blagues. Le lendemain même coup de fil, j’étais agacée. Je lui dis : ‘Si tu recommences, je t’en colle deux.’ Mais la personne insiste. Je suis allée voir René Clément qui me dit : "Une seule chose m’ennuie, votre nom sur l’affiche : Cordy = comique." De fait, c’est un thriller quasi psychanalytique avec Marlène Jobert et Charles Bronson. "Il a pris le risque et moi aussi. Mais pour ne pas avoir confiance en René Clément, il fallait être tombé sur la tête. C’était un monsieur comme Sacha Guitry. C’était pas comme ‘Ces messieurs de la gâchette’ et bien d’autres films où le réalisateur se contentait de me dire : ‘Alors vas-y.’ Il était là pour me dire si cela n’allait pas. Moi je joue à l’instinct. Si cela ne correspond pas à ce qu’il veut, je lui demande de m’expliquer et j’essaie d’être à la hauteur. Cela s’arrête là, je suis à la disposition du metteur en scène. Je connais mon texte, je le dis comme je le pense. J’attends qu’il me corrige, me dise ‘Cette phrase-là à cet endroit-là, la suite en posant la main sur la table…’ C’est important pour moi. Au théâtre aussi, je fonctionne avec ces points d’appui. Si j’ai un trou, je sais qu’en allant à tel endroit le mot va revenir, l’itinéraire me guide. J’adore les contraintes techniques. C’est très différent d’un tour de chant."
Non, rien de rien…
Il est toutefois un rôle qui démontre tout son potentiel, c’est "Rue Haute" (1976) d’André Ernotte où, méconnaissable, elle incarne une femme ayant perdu la tête depuis que les nazis ont emmené son mari. Unanimement encensée pour sa performance, n’a-t-elle pas hésité à se consacrer alors au cinéma ? "Mon premier métier, c’est d’être sur scène, de partager la bonne humeur avec ceux qui sont là et qui en ont besoin. On a besoin de s’amuser, de s’éclater. Mais ça ne m’empêche pas de faire des rôles comme ‘Rue Haute’. André Ernotte a tiré le maximum de ce que je pouvais faire. J’ai adoré ce rôle très dur. Il faisait froid assise par terre dès 5 heures du mat’, sur les pavés pour jouer quelqu’un qui n’est pas là quand on est là. C’est très con ce que je dis, mais c’était cela. C’est magnifique quand on arrive à faire plaisir au metteur en scène."
Son rôle dans "Les souvenirs" est aussi mémorable, et paradoxal : jouer une grand-mère ordinaire. "Je suis une femme ‘tout droit dehors’ comme on dit à Bruxelles. C’est vrai que jouer une grand-mère c’est un peu pas mon style. Avec Jean-Paul, on s’est très bien compris, quand j’étais un peu trop, il me le disait tout de suite." Elle est tellement sensationnelle, n’a-t-elle pas de regret de ne pas avoir tourné davantage ? "Je ne veux pas avoir de regret. Je n’ai pas eu le temps. J’ai fait des choses que j’aimais, j’étais sur scène, je faisais le guignol, je donnais de la bonne humeur aux gens."