"The Boxtrolls": Fable fromagère
Le 3e long métrage des studios Laika paye son tribut à Tim Burton. Anthony Stacchi et Graham Annable révèlent les secrets de fabrication d’un film d’animation artisanal qui a notamment fait appel à l’impression 3D…
Publié le 15-10-2014 à 09h38
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Le 3e long métrage des studios Laika paye son tribut à Tim Burton. Anthony Stacchi et Graham Annable révèlent les secrets de fabrication d’un film d’animation artisanal qui a notamment fait appel à l’impression 3D…
Dès les premiers instants des "Boxtrolls", impossible de ne pas penser à "L’étrange Noël de Mr Jack" : ambiance sombre, personnages monstrueux, univers refusant l’infantilisation… Rien d’étonnant à cela puisque, quand ils se sont lancés, les studios de Portland spécialisés dans l’animation en stop-motion ont débauché Henry Selick pour réaliser "Coraline", qui avait connu un beau succès en 2009. Après le semi-échec de "L’étrange pouvoir de Norman", Laika espère bien retrouver le succès avec ces "Boxtrolls".
Adapté des "Chroniques de Pont-aux-Rats", roman jeunesse de l’Anglais, Alan Snow, "The Boxtrolls" met en scène d’étranges créatures-recycleuses habillés de boîtes en carton. Ils vivent dans les égouts de la ville de Cheesebridge, où la bonne société se délecte de la dégustation raffinée de fromages qui puent. Celle-ci craint par-dessus tout ces Boxtrolls, accusés de tous les maux : de voler les enfants et les fromages ! Un enfant, ces monstres en ont effectivement un : Œuf, qu’ils ont élevé comme l’un des leurs. Quand, à la surface, ce dernier rencontre Winnie, une gamine de son âge, les deux compères vont tenter de réconcilier les deux mondes…
À la barre de ces étonnants "Boxtrolls", on trouve Anthony Stacchi (déjà derrière "Les Rebelles de la forêt", en 2006) et Graham Annable. Et au niveau de l’animation, rien à redire. Décors, personnages, mouvements, découpage… Le film est d’une fluidité impressionnante, visuellement très beau, dans un style gothique proche de celui de Tim Burton de "L’étrange Noël de Mr Jack" ou des "Noces funèbres".
Comme dans "Coraline", la référence est revendiquée mais se fait un peu écrasante. Car si "The Boxtrolls" est diablement bien fichu, on ne dépasse pas l’amusante déclinaison sur le thème du vilain petit canard. Avec un zeste de "Metropolis" pour la confrontation entre le monde sous-terrain pauvre et les riches de la surface et un peu de Dickens pour le récit initiatique d’un jeune orphelin à la recherche de ses origines.
On peut aussi se poser la question du positionnement du film qui, par son ambiance très noire, ses monstres bizarres et quelques scènes dures, risque peut-être d’effrayer les plus jeunes… Pour les grands, reste quand même de jolies trouvailles, une ode au fromage géniale écrite par l’ancien Monty Python, Eric Idle et, surtout, cachée dans un générique de fin, une scène magique sous forme de réflexion philosophique sur le sens de l’existence des personnages de films d’animation…
"Au final, les animateurs font toujours la même chose qu’à l’époque de King Kong…"

EN SEPTEMBRE, "The Boxtrolls" était présenté en séance spéciale à la Mostra de Venise, où nous avons rencontré ses deux coréalisateurs, Anthony Stacchi et Graham Annable. Longtemps animateur chez ILM (sur "Retour vers le Futur" ou "Hook"), le premier n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà coréalisé "Les rebelles de la forêt" en 2006 pour Sony Animation. Storyboardeur chez Laika, le second a été promu réalisateur pour ce film, dans les cartons du studio d’animation en stop motion de Portland depuis 7 ans. Quand le patron de Laika Travis Knight (fils du fondateur de Nike) a débauché Stacchi. "On a bossé sur l’histoire pendant un bon bout de temps , se souvient celui-ci . Au début, on a essayé de garder tout ce qui était drôle dans le roman d’Alan Snow mais on n’y est pas parvenu. On s’est donc focalisé sur l’histoire d’Œuf et des Boxtrolls. Ensuite, ils ont choisi de faire d’abord "L’étrange pouvoir de Norman". On a dû attendre que celui-ci soit terminé car Laika est toujours un studio où on ne peut faire qu’un seul film à la fois. Une fois qu’on a été satisfait du script, on a commencé le storyboard. Ce qui est devenu de plus en plus important, c’est l’idée que les Boxtrolls étaient des personnages de pantomime, qu’ils ne parlaient pas. Je connaissais le travail de Graham dans les comics et les courts métrages, où il y a toujours de la pantomime. Je lui ai donc demandé de storyboarder une séquence importante." C’est comme cela que celui-ci a été promu coréalisateur. "Au département storyboard, j’étais à l’aise pour faire des avions en papier. En devenant réalisateur, je me suis retrouvé devant le tableau de bord d’un Boeing 767…" , se souvient-il !
Réaliser un film artisanal comme "The Boxtrolls", où chaque personnage est animé image par image, est un long processus. "Dix-huit mois , explique Annable . Une fois qu’on a les décors et le storyboard, quand le tournage commence, il faut compter à peu près un an et demi." "Au plus haut, on avait 25 animateurs, qui produisent 35-45 images par jour, soit 2 à 3 secondes par semaine. A la fin de la semaine, si on additionne tout, on obtient 4 ou 5 minutes de film" , abonde son complice. Qui précise qu’il y avait 30 marionnettes d’Œuf par exemple. L’une d’elle avait fait le voyage à Venise. Où l’on se rend compte de la merveille d’ingéniosité de celle-ci, notamment pour l’animation des visages. Interchangeables, ceux-ci sont fabriqués grâce… à une imprimante 3D ! "Si vous regardez "L’étrange Noël de Mr Jack", les têtes de Pumpkin sont des têtes de remplacement et sont assez simples, explique Stacchi. Il a des yeux, une bouche et des dents, je crois. Tout est fait à la main et cela se voit par moments. Ici, c’est la même idée mais de façon beaucoup plus subtile pour les expressions faciales. C’est dingue, aujourd’hui, on peut même imprimer du métal ou… de la viande ! C’est effrayant." "L’impression 3D est une sacrée avancée pour nous. Mais au final, les animateurs font toujours la même chose qu’à l’époque de "King Kong", tempère Annable. Ils manipulent, image par image, des marionnettes sur un plateau ."
Si l’on voit en quoi consiste le métier de réalisateur sur un film traditionnel, comment dirige-t-on des marionnettes ? "Comme pour tous les films, c’est d’abord le casting, commente Stacchi. Celui des voix bien sûr mais aussi des animateurs. Vous essayez de caster les animateurs selon leurs points forts. Dans les studios classiques, il y a souvent un animateur dédié à un personnage. Ici, l’animateur travaille sur l’ensemble d’une séquence. Travis a par exemple animé lui-même la première séquence que nous ayons tournée. C’est là que l’on a défini comment le personnage bougeait, courait… Les autres animateurs se sont référés à cette séquence pour conserver une continuité."
Dans le casting vocal original, on croise du beau monde : Isaac Hempstead Wright (jeune Anglais découvert dans "Game of Thrones"), Elle Fanning mais aussi, dans le rôle du méchant Archibald Snatcher, Sir Ben Kingsley. "Tout doit être enregistré avant l’animation. Les animateurs écoutent et réécoutent les dialogues pour imaginer ce qu’ils vont faire. La performance de Sir Ben était formidable. La première fois que j’ai ramené l’enregistrement, j’ai cru que j’allais me faire virer tellement ce qu’il faisait était étrange, s’amuse Anthony Stacchi. Mais face à cela, l’animateur peut immédiatement imaginer comment animer le personnage. S’il doit se baser sur une performance plate, il n’a rien à quoi se raccrocher…"
Une des critiques adressées à "The Boxtrolls", c’est sa noirceur et la monstruosité de ses personnages. De quoi se couper des enfants ? Anthony Stacchi ne le pense pas. "La règle, c’est que l’enfant s’identifie au héros. Si le héros a peur ou est mal traité, c’est là qu’il est en empathie; il ne faut donc pas y aller trop fort. Mais si le héros est courageux, il peut être confronté à tout. Enfant, j’aimais les premiers Disney. Et mon fils de 8 ans aime les films de Miyazaki, qui peuvent pourtant être très intenses…"
Dans une séquence cachée dans le générique de fin, on découvre que les animateurs sont des dieux pour les personnages qu’ils manipulent au quotidien… "Oui. D’ailleurs, quand on quitte le studio, la nuit, on a envie de retourner voir en cachette s’ils restent bien à leur place à vous attendre", s’amuse Graham Annable.
Réalisation : Graham Annable&Anthony Stacchi. Scénario : Irena Brignull&Adam Pava (d’après Alan Snow). Musique : Dario Marianelli. Montage : Edie Ichioka. Avec lex voix en VO de Ben Kinglsey, Isaac Hempstead Wright, Elle Fanning, Tracy Morgan, Richard Ayoade… 1 h 36.