La musique pour "s’enfuir"
Joachim Thôme signe un film original et fort sur la vie du compositeur Albert Huybrechts.
Publié le 12-11-2014 à 19h55 - Mis à jour le 13-11-2014 à 08h16
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Ils sont rares à l’oser : filmer les musiciens de si près que le spectateur se sent traversé, comme s’il en était lui-même l’interprète, par la musique qui se joue… Ce type de prise de vue est l’une des signatures du film "S’enfuir" que le jeune cinéaste belge Joachim Thôme consacre à la vie d’Albert Huybrechts, un film dont chaque aspect est inaugural et réussi.
Tout a démarré par un coup de foudre pour la musique d’un des plus grands compositeurs belges du XXe siècle, né à Dinant en 1899, mort à Bruxelles en 1938, et végétant dans les limbes depuis… Inexplicable indifférence à laquelle le label Cypres avait déjà réagi en publiant, avec le concours du quatuor Malibran et de musiciens de La Monnaie, une intégrale de la musique de chambre d’Huybrechts, ce qui permit de filmer les mêmes musiciens en play-back en se les "incorporant".
La voix du frère
Mais le pouvoir du film se déploie sur d’autres plans. Et tout d’abord, en adoptant pour seule narration (lue par Julien Roy, en voix off) la biographie écrite par Jacques, le frère d’Albert et son cadet de 17 ans. Un texte sobre et implacable, décrivant la vie confinée d’un génie écrasé par ses origines modestes (notant qu’il venait quand même d’un milieu de musiciens) et par une mère abusive qui l’assigna comme soutien de famille en lui interdisant toute forme d’émancipation. Une émancipation régulièrement évoquée par les images oniriques de courses de chevaux (Albert fut un temps joueur) ou d’immersion dans la nature, les premières puisées dans des archives, les secondes - sublimes - créées pour le film.
Alors que dans un décor quasi noir et blanc (comme tout le film) et dont on comprendra à la fin qu’il est la reconstitution de l’intérieur familial, on suit, de l’intérieur, par touches, l’impuissance sidérée d’un génie n’ayant que la musique - et quelle musique ! - pour exister, pour s’enfuir. Et pour que le spectateur comprenne que cette vie si romanesque - quoique désespérante - appartient bien à la réalité, Thôme ponctue son film des témoignages rafraîchissants des quatre nièces d’Albert (filles de Jacques), en couleurs.
Productions du verger - diffusion Ere Doc
A Flagey, studio 5, jusqu’au 28 novembre. Infos : 02.640.10.20