"Le dernier coup de marteau" : Dire au revoir à son enfant

La Française Alix Delaporte émeut avec un second film tout en retenue. Critique.

Hubert Heyrendt
"Le dernier coup de marteau" : Dire au revoir à son enfant

La Française Alix Delaporte émeut avec un second film tout en retenue. Dans son second long métrage, le cinéaste français opte pour un mélo tout en retenue pour aborder la question de la filiation. Vivant dans une caravane sur une plage de Camargue avec sa mère célibataire et aux côtes d’immigrés espagnols, Victor est un gamin mélancolique. Il a malheureusement toutes les raisons de l’être. Très malade, sa mère se prépare tout doucement à le laisser à ses grands-parents. Avant cela, elle souhaite qu’il rencontre son père, un grand chef d’orchestre de retour en résidence à l’opéra de Montpellier pour diriger la 6e symphonie de Mahler, "La Tragique". Mais entre le gamin, qui rêve d’intégrer le centre de formation du club de foot de la ville, et ce père qui ne rêve que de musique, le fossé est immense…

Avec un tel scénario, "Le dernier coup de marteau" assume totalement le mélodrame. Mais Alix Delaporte réussit toujours à trouver la bonne distance par rapport à son sujet pour ne pas prendre en otage le spectateur, pour ne pas verser dans le tire-larmes. Elle y parvient grâce à une grande justesse de ses personnages, à l’efficacité de sa narration et à la délicatesse de sa mise en scène.

Très dense, 1h20, "Le dernier coup de marteau" va directement à l’essentiel, avec une économie de moyens remarquable, un vrai sens de l’ellipse. Ainsi la cinéaste parvient-elle à croquer ses personnages en une ou deux scènes rapides. Une jeune femme saute d’une falaise dans un lac, perd sa perruque. Pas besoin d’en dire plus. On a compris qu’elle était en chimiothérapie…

Perle rare

La Française Alix Delaporte s’était fait connaître avec le sensible "Angèle et Tony" en 2011. Elle retrouve ici ses deux comédiens, les trop rares Clotilde Hesme et Grégory Gadebois. Mais s’ils étaient un couple dans son premier film, ils ne se croiseront cette fois pas à l’écran. Avec une grande pudeur, "Le dernier coup de marteau" décrit en effet la transmission d’un enfant de sa mère à son père. Si les deux acteurs sont une fois encore bouleversants de sincérité, la réalisatrice à également trouvé la perle rare pour camper Victor : le jeune Romain Paul, juste de bout en bout dans un rôle très douloureux.

Toujours sur la corde sensible, "Le dernier coup de marteau" est une petite merveille d’équilibre. Notamment dans son utilisation de la "Tragique" de Malhler, dont Delaporte filme magnifiquement les répétitions, la symphonie contribuant à la tonalité d’un film dramatique, certes, mais toujours digne. Car, comme le dit le chef d’orchestre à ses musiciens, "tragique" ne signifie pas que tragédie, c’est aussi l’angoisse. Celle d’un gamin qui, comme tous les petits garçons, est incapable d’envisager l’avenir sans sa mère…

Réalisation : Alix Delaporte. Scénario : Alix Delaporte & Alain Le Henry. Photographie : Claire Mathon. Musique : Evgueni Sacha Galperine. Montage : Louise Decelle. Avec Romain Paul, Clotilde Hesme, Grégory Gadebois… 1h22.

Alix Delaporte : "C’est important de laisser partir les enfants sans culpabiliser"

"Le dernier coup de marteau" : Dire au revoir à son enfant
©Photo News

Comme pour "Angèle et Tony" et "Comment on freine dans une descente", la Française Alix Delaporte avait choisi la Mostra de Venise pour dévoiler, en septembre 2014, "Le dernier coup de marteau", où le film a permis à Romain Paul de décrocher le Prix Marcello-Mastroianni du meilleur jeune acteur. Sur la terrasse du raffiné hôtel Excelsior sur le Lido, on rencontrait une cinéaste qui n’en est qu’à son second long métrage mais sait déjà exactement ce qu’elle veut…

Le film est étonnant de densité, joue beaucoup des ellipses. Vous avez beaucoup travaillé là-dessus dès le scénario ?

C’est vraiment du travail d’aller à l’essentiel, d’enlever tout ce qui est informatif. Au début, dans le script, il y a toujours des endroits où vous faites dire aux acteurs des trucs que vous n’avez pas réussi à balancer ailleurs. Mais quand je prends des acteurs comme Grégory et Clotilde, qui sont prêts à aller très loin avec moi, le minimum, c’est que je ne leur donne pas des dialogues informatifs. Or même après avoir travaillé deux-trois ans sur le scénario, je resserre encore au tournage puis encore au montage. J’enlève encore des mots et des mots et des mots. Parfois, je me dis qu’il ne va plus rien rester. C’est aussi une façon de ne pas prendre le spectateur pour un idiot. C’est quand même agréable d’imaginer le film soi-même. Et pour ça, il vous faut des espaces…

Retravailler avec Grégory Gadebois et Clotilde Hesme, c’était une évidence ?

Pour Clotilde, c’était évident, alors que je n’avais pas pensé à elle pour "Angèle et Tony". Pour Grégory, c’est l’inverse. Ce n’était pas si évident. J’avais eu une expérience très forte avec lui dans "Angèle et Tony"… C’était compliqué de ne pas aller à la recherche de la même chose ici. C’est ma productrice qui m’a dit : "Pourquoi tu ne vois pas Grégory ?" J’étais encore dans un autre truc. J’aurais pu imaginer Nanni Moretti par exemple. Mais cela aurait été trop évident : un homme caractériel, qui a quelque chose d’artistique. J’aurais déjà su à quoi le film allait ressembler. Alors que Grégory, c’est un acteur avec qui tout est possible. Il a une façon de s’approprier les personnages, de les transformer et de vous les rebalancer avec quelque chose de perturbant parce que vous n’aviez pas pensé à cela. Cela donne envie de partir en tournage.

Avez-vous cherché longtemps pour trouver le jeune Romain Paul ?

Je l’ai trouvé très vite. Lors du casting, la plupart des gosses enchaînaient directement leurs répliques, parce que, comme pour une poésie, ils veulent montrer qu’ils ont appris leur texte. Romain, lui, a regardé la directrice de casting et a marqué un temps avant de dire sa réplique. Et dans ses yeux, j’ai vu la peur. Je me suis dit : c’est magique, ce gosse sait faire des silences ! Et puis ce gamin est un ange; il est très sérieux. Pour être de tous les plans pendant deux mois, il faut être solide. Après, sans qu’on sache pourquoi, c’est juste ou c’est pas juste. Et avec lui, c’était juste… Je l’ai dirigé comme une mère : "Marche à gauche. Apprend ta leçon. Va t’entraîner…" Je suis assez cash, je ne le prends pas pour un idiot. Infantiliser les enfants, c’est vouloir les garder pour nous. Et c’est justement de cela que parle le film : comment on arrive à rendre les enfants indépendants. Comment on est assez généreux, ou solide, pour pouvoir vivre sans l’amour de ses enfants, un amour qui est aussi une forme de dépendance. Je crois que c’est vraiment important de les aider à partir sans culpabiliser.

Vos acteurs disent de vous que vous êtes assez dure quand vous les dirigez…

Si je suis trop enveloppante avec eux, j’ai l’impression de ne pas les mettre à mon niveau. Et je veux qu’on soit tous les trois en train de faire le même boulot. C’est vrai que je ne suis pas souvent en train de dire : "C’était trop génial ce que tu as fait." Je n’y arrive pas parce que je pense déjà à la scène suivante, au montage, à la sortie… Et puis je ne peux pas être totalement mielleuse alors que les personnages sont hyper durs. À un moment du tournage, j’ai dit à Clotilde : "Mais t’as rien mangé." Elle me répond que si mais j’ai bien vu qu’elle était rentrée dans ce trip-là sans que je lui ai demandé de maigrir…

La musique a un rôle central dans le film. Pourquoi avez-vous choisi cette symphonie de Gustav Mahler ?

Pour l’histoire des trois coups de marteau. Quand j’ai lu cela, j’ai su que j’avais trouvé le titre du film. Du coup, j’étais un peu obligée de prendre la Sixième. J’ai attendu six mois avant de l’écouter et quand je l’ai enfin fait, je me suis rendu compte que le film respectait presque la même structure : tenir, tenir dans quelque chose de très rugueux, donner un peu et retenir tout de suite. Je suis aussi comme ça. Et puis quand je lâche, je lâche vraiment. Mahler, c’est pareil : il y a un moment 20 secondes qui sont presque mièvres tellement c’est romantique. Je trouvais ça génial.


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