Quand le studio Aardman revient à ses moutons
Méconnus du grand public, les réalisateurs Richard Starzak et Mark Burton sont des piliers du studio britannique. Entretien.
Publié le 07-04-2015 à 10h17 - Mis à jour le 08-04-2015 à 11h00
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Méconnus du grand public, les réalisateurs Richard Starzak et Mark Burton sont des piliers du studio britannique. Entretien Alain Lorfèvre "Vous avez une très belle écharpe !" Juré : on ne l’a pas fait exprès, mais l’accessoire vestimentaire très coloré était en pure laine Shetland, made in Britain. L’œil avisé des réalisateurs Richard Starzack et Mark Burton ne s’y est pas trompé.
Richard Starzack, c’est un peu le père adoptif de Shaun le mouton. Dix ans après "Rasé de près" (1995), quand le studio Aardman eut l’inspiration de doter Shaun de sa propre série télé, Richard Starzack reçut la pelote de laine entre les mains.
Est-ce que le travail chez Aardman a changé en vingt ans ?
Richard Starzack : Non, presque pas. Le changement significatif fut l’apprentissage de l’écriture et de la réalisation de longs métrages d’animation. Et le passage aux appareils de prise de vue numériques. Mais les techniques d’animation n’ont guère changé. Nous utilisons un peu moins de plasticine pour les personnages. Nous mixons les matériaux pour économiser un peu de temps. L’autre différence, c’est que nous avons acquis une énorme expérience. Par rapport à l’entreprise qu’était la réalisation de "Rasé de près", c’est un peu comme si nous avions échangé une Mini Cooper pour une Rolls Royce. Il y a une addition de compétences dont le public n’a pas conscience.
Comme la série, le film est dénué de dialogue. Est-ce un atout ou un défi ?
Richard : À l’origine, nous étions un peu inquiets de l’absence de dialogue. Nous n’étions pas sûrs que cela fonctionne. Nous avions d’ailleurs en réserve la possibilité de faire parler les personnages humains. Ou d’avoir un groupe de musiciens qui auraient chanté des transitions expliquant l’action. Mais les trente premières minutes de "Wall-E" de Pixar étaient là pour nous rassurer. Et puis "The Artist" est sorti alors que nous étions en pré-production. Son succès nous a confortés. Et puis, quand nous avons ajouté les bruitages sur l’animatique [montage minuté des dessins du story-board], nous avons été totalement sûrs de nous.
Comment écrit-on le scénario muet ?
Richard : Le scénario est finalement un document assez austère. Il décrit dans le détail les scènes et l’action. Pour parvenir à cela, Mark et moi avons procédé de façon assez simple, assis à une table, en jetant les idées au fur et à mesure. Nous avons discuté de ce que devait représenter l’histoire pour Shaun, puis de chaque scène, de ses enjeux. Ce ne fut jamais un scénario fini au sens strict. Il a évolué en permanence.
Mark : Mais, néanmoins, il faut un scénario comme document de référence. Il permet de garder le cap tout au long de la réalisation. Nous travaillons au sein d’un studio relativement petit. Ce qui nous offre beaucoup de souplesse. Et, entre le scénario et la réalisation, nous avons le story-board [version dessinée du scénario] et, surtout, l’animatique. L’animatique permet de minuter les plans, les scènes.
L’émotion est une composante essentielle dans ce film alors que la série est plus burlesque.
Mark : C’était primordial, parce que nous ne voulions pas réaliser un film purement comique. Il fallait une histoire qui justifie le grand écran. Chez Chaplin ou chez Keaton, il y a toujours de l’émotion. Cela peut paraître un peu ridicule d’imaginer deux adultes discuter des sentiments d’un troupeau de mouton, mais c’est précisément la clé : vous devez impérativement prendre votre sujet et vos personnages au sérieux.
Quel est le travail d’un réalisateur au quotidien sur un tel film ?
Richard : Ce n’est pas si éloigné du travail sur un film en images réelles, sauf que nos acteurs sont les animateurs. C’est eux que nous dirigeons. Et parfois nous faisons les acteurs nous-mêmes : il nous est arrivé de mimer une scène pour aider un animateur à la réaliser. Mais, généralement, nous discutons beaucoup avec eux pour leur décrire le contenu d’une scène. Il est aussi important de bien expliquer ce qui se passe dans la tête de Shaun et des autres personnages, puisqu’il n’y a pas de dialogue.
Mark : La partie la plus compliquée, c’est que, au contraire d’un réalisateur en images réelles, nous courons d’un décor à l’autre pour diriger le travail des animateurs - il y en avait parfois jusqu’à vingt en activité en parallèle. Et on passe parfois en quelques secondes d’une scène du début du film à une scène de la fin.
Le thème profond du film est-il la famille ?
Mark : Oui. Dans la série, il y avait un côté potache : Shaun et les moutons jouent des tours au fermier ou à Bitzer, qui se comporte comme le contremaître d’une usine ou comme le pion d’une école. Ici, on commence le film en soulignant les liens entre les personnages. Nous avons joué avec cette idée que le fermier incarne la figure paternelle, Bitzer le grand frère trop sérieux et Shaun l’ado turbulent. Ce qui est intéressant, c’est qu’une fois que vous avez le thème, celui-ci devient vraiment un fil conducteur qui induit des tas d’autres éléments. L’émotion lorsque les moutons sont perdus repose sur cette idée que ce sont des enfants qui ont perdu leur père. Ou le personnage de Slip, perçu comme une orpheline qui cherche désespérément une famille.