"Suite française": Un pianiste et des corbeaux
Une adaptation plate du roman retrouvé d’Irène Némirovsky.
Publié le 14-04-2015 à 15h43 - Mis à jour le 15-04-2015 à 09h22
Une adaptation plate du roman retrouvé d’Irène Némirovsky.L’histoire est vraie et romanesque à souhait. Au début du XXIe siècle, une femme se décide à ouvrir une vieille valise appartenant à sa mère disparue à Auschwitz en 42. Elle y découvre un roman inachevé imprégné de l’air du temps.
Soit un bourg français à l’heure allemande - on a reculé les horloges d’une heure. Après la pagaille de l’exode, l’agglomération a retrouvé sa tranquillité apparente alors que les gradés logent chez l’habitant. Ainsi, un beau lieutenant s’est installé chez la veuve Angellier, inflexible propriétaire terrienne vivant avec sa douce belle-fille. L’officier nazi est traité par le silence, comme dans le Vercors. Mais l’homme ne dégage pas qu’un charme physique, c’est aussi un compositeur travaillant quotidiennement son piano. Vivant dans la chambre à côté, la belle Lucile l’écoute passionnément tout en entendant battre son cœur.
Tranquillité apparente disait-on car quand il ne joue pas du clavier, notre militaire lit aussi le courrier - généralement anonyme - adressé par les corbeaux locaux. Lucile apprendra ainsi que son homme - ce cher Gaston dont belle-maman lui rabâche les oreilles - menait une double vie avec maîtresse et enfant. De quoi ébranler un peu plus cette jeune femme isolée et fragilisée. Son trouble n’échappe pas à certains habitants. S’ils ne se privent de la blâmer derrière son dos, ils ne se gênent pas pour lui demander d’intercéder auprès de l’occupant puisqu’elle est dans ses bonnes grâces.
Aimer un ennemi, le thème a déjà été exploité dans le cadre de la Deuxième Guerre mondiale, livrant des œuvres fortes du calibre de "Portier de nuit" ou "The Reader". C’est moins le scandale qui est visé ici que la passion contrariée par l’affrontement des sentiments et du devoir.
Dans le rôle du bel officier, racé, délicat, humain, piégé par les circonstances; Matthias Schoenaerts ne doit pas forcer son talent, ni sa classe. Dans celui de la jeune femme frêle terrorisée par sa belle-mère, Michelle Williams développe ce jeu minimaliste et intérieur dont elle a fait son style, ce côté petit oiseau pour le chat, de victime désignée au rayonnement délicat. Elle est touchante et subtile là où Kristin Scott Thomas est rudement efficace.
Est-ce le manque de métier du Britannique Saul Dibb, les incohérences linguistiques - les Allemands parlent allemand mais les Français parlent anglais ; le film, porté par d’excellents acteurs, refuse obstinément de vibrer si ce n’est à la toute fin.
Il n’en reste pas moins un ouvrage touchy, levant un coin sale du voile sur une France sous l’occupation qui se demande s’il est pire d’aimer un Allemand que de dénoncer un voisin. De quoi nourrir un mélo que le roman d’Irène Némirovsky, prix Renaudot 2004, avait su rendre incandescent.

Réalisation : Saul Dibb. Avec Michelle Williams, Kristin Scott Thomas, Matthias Schoenaerts… 1h47