"Jamais de la vie" : Dans un supermarché

Quel film Pierre Jolivet va-t-il faire jouer à Olivier Gourmet ?

Fernand Denis

Quel film Pierre Jolivet va-t-il faire jouer à Olivier Gourmet ?La nuit, dans un hypermarché désert, un vigile fait sa ronde. Deux minutes de générique suffisent à Pierre Jolivet pour faire flipper le spectateur devant un espace en scope , complètement vide : les magasins, les couloirs, les parkings. Devant aussi les stratégies du gardien pour ne pas somber dans un ennui sans fond.

Tout est dit. Que veut encore ajouter Pierre Jolivet pendant une heure et demie ? Un scanner de la précarité ? La première pierre du chantier d’une solidarité à reconstruire avec l’aide de l’éboueur qui essaie de revendre au gardien ce qu’il a trouvé d’intéressant durant sa tournée ? Ou alors, un peu de fiction, d’action, de thriller - on est au cinéma - avec ce 4x4 louche qui rôde ?

En attendant, le jour s’est levé et Franck le gardien est parti se coucher, dans son HLM. "Pourtant, on est des privilégiés, on a un boulot", lui dit dans l’après-midi sa conseillère sociale. Des privilégiés qui n’ont pas de quoi se payer un dentiste, se dit Franck. Pas de quoi payer un orthodontiste à sa fille, reconnaît la fonctionnaire dont la situation est tout aussi précaire, seule avec deux enfants. Sur le parking, le SUV continue de rôder mais avec d’autres plaques. De plus en plus louche.

Quelle destination le film va-t-il prendre ? La comédie romantique de supermarché entre un gardien de nuit et une employée au salaire minimum ? Ou bien le petit polar autour d’un casse perpétré par des minables dont une petite frappe qui torgnole sa femme et poignarde son pote ?

Il va falloir que Franck se décide, que le film prenne une direction. Mais qui est ce Franck ? Il y a des trous dans sa carrière, dit le fonctionnaire qui calcule les retraites. Un séjour derrière les barreaux ? Non, des années à porter le gueulophone. Franck en a fait beaucoup (trop) pour défendre ses camarades, alors quand l’usine a fermé, il s’est retrouvé sur une liste noire. Dix ans pour retrouver un boulot. Et quel boulot. Le temps de perdre sa femme, ses potes, une retraite décente.

"It’s a wonderful world", chante Stacey Kent avec un courant d’ironie qui s’engouffre dans les brisures de sa voix. Pierre Jolivet peint la réalité. C’est gris, c’est tagué, c’est clapier. Et tourne aussi un film. Plutôt louche ou avec un peu d’espoir?

Un film Gourmet, minéral comme le béton dont on fait les HLM, il capte l’attention, électrise la toile. Il est revenu de tout, dans quelle direction va-t-il repartir ? Lui qui aime réparer les petites autos et les faire rouler sur l’immense parking, qu’est-ce qui va le télécommander ? Sa colère, sa générosité, sa lucidité, son amertume, son orgueil, son fond de solidarité ?

Ça met une dose de tension, un minimum (syndical) de suspense dans ce cliché de la France en 2015. Ça offre aussi à Olivier Gourmet un des rôles les plus puissants, poignants, intériorisés de sa carrière. Celui d’une grande gueule cassée.

Réalisation : Pierre Jolivet. Scénario : P. Jolivet et Simon Michaël. Avec Olivier Gourmet, Valérie Bonneton, Marc Zinga… 1h35.

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