"While We're Young" : De l’honnêteté de l’art et dans la vie

Une comédie new-yorkaise intello brillante signée Noah Baumbach. Fils d’intellectuels new-yorkais, le cinéaste évoque sa pratique du cinéma d’auteur, ses interrogations de quarantenaire et crie son amour pour sa ville. Critique et entretien.

Hubert Heyrendt

Une comédie new-yorkaise intello brillante signée Noah Baumbach. Fils d’intellectuels new-yorkais, le cinéaste évoque sa pratique du cinéma d’auteur, ses interrogations de quarantenaire et crie son amour pour sa ville. Marié à Cornelia (Naomi Watts), Josh (Ben Stiller) a renoncé à avoir des enfants. Il se concentre sur son travail de documentariste. Un documentariste méticuleux ! Pour preuve, cela fait 10 ans qu’il peaufine son second film. Le sujet assez nébuleux; il sera question de pouvoir, de politique, de responsabilité. Bref des Etats-Unis… S’il bloque, c’est peut-être à cause de l’ombre de son beau-père, réalisateur reconnu qui l’a soutenu à ses débuts prometteurs…

Un jour, pendant l’un des cours qu’il donne à l’université, Josh tombe sur un jeune couple enthousiasmant. Jamie (Adam Driver) est un apprenti-réalisateur ambitieux, tandis que Darby (Amanda Seyfried) vend ses glaces artisanales à Brooklyn. Entre les deux couples, le contraste est total. Mais côtoyer ces gamins qui construisent leur bureau plutôt que d’aller chez Ikea, qui en reviennent aux 33 tours plutôt que d’écouter la musique en ligne, qui jouent à un bon vieux jeu de société plutôt que de pianoter sur leur tablette a quelque chose de rafraîchissant. A leur contact, Josh et Cornelia se sentent rajeunir… Vraiment ?

Comme dans "Frances Ha", Noah Baumbach n’a rien perdu de son sens de l’observation, de sa capacité à capter l’air du temps, l’évolution de la société. En confrontant deux générations proches et déjà si différentes, le cinéaste se montre très inspiré. A la façon du Woody Allen des années 70, dont il est définitivement le fils spirituel, le New-Yorkais n’a en effet pas son pareil pour décrire sa ville, filmant les pizzerias rétro-branchées de Berford-Stuyvesant, les lofts arty de Williamsburg, les barbecues urbains décontractés…

Mais à mesure qu’il progresse, "While We’re Young" se montre de plus en plus critique vis-à-vis de cette nouvelle jeunesse, qui semble parvenue à se libérer des carcans bourgeois pour mieux s’enfermer dans une autre forme de conformisme consumériste. Des enfants gâtés qui ont aboli les hiérarchies culturelles, mettant sur le même pied "Les Goonies" et "Citizen Kane". Une jeunesse entrepreneuse et prête à tout pour réussir, quitte à prendre pas mal de liberté avec la réalité et la vérité. Pas simple quand on se dit documentariste comme Jamie…

Sur un sujet analogue à celui du pathétique "Nos pires voisins", l’une des comédies hollywoodiennes à succès de 2014, qui confrontait un couple de trentenaires à sa jeunesse perdue, Baumbach réussit, lui, un film intelligent. Car il parvient sans cesse à faire se répondre deux niveaux : celui de la vie et celui de la création. Il montre combien, dans les deux cas, ce sont les mêmes questions d’honnêteté ou de pause, d’hypocrisie qui se posent…

S’engageant cette fois clairement sur le terrain de la comédie (fût-elle intello), Baumbach force parfois un peu le trait, quitte à rendre ses personnages un poil ridicules (notamment celui de Ben Stiller). Heureusement, le cinéaste peut compter sur un quatuor d’acteurs exceptionnels, qui donnent un rythme, un ton, une vie incroyable à cette exploration assez désabusée de notre incapacité à faire coïncider nos principes, nos attentes et nos actes… Stiller, Watts, Seyfried et Driver sont tous les quatre bluffants, effaçant complètement les quelques faiblesses d’un scénario un peu trop verbeux vers la fin.

"While We're Young" : De l’honnêteté de l’art et dans la vie
©IPM

Scénario&réalisation : Noah Baumbach. Photographie : Sam Levy. Avec Ben Stiller, Naomi Watts, Adam Driver… 1 h 34

Noah Baumbach, New-Yorkais jusqu’au bout des ongles

Le 1er juillet dernier, Noah Baumbach était l’invité de Bozar et de la Cinémathèque à l’occasion de l’avant-première de "While We’re Young" (cf. ci-contre). Dans un salon à l’ancienne du Palais des Beaux-Arts, on découvre le cinéaste de 45 ans sur son 31. Chemise blanche, costume noir, mais pas de cravate, il est fin prêt à monter sur la scène du Palais des Beaux-Arts. Est-ce le stress ? On découvre un Baumbach nerveux, répétant "You know" trois fois par phrase, façon Scorsese. On se trouve en tout cas face à un intello new-yorkais pur jus, tout droit sorti d’un film de Woody Allen… ou de Noah Baumbach.

Votre tout premier film "Kicking and Screaming" parlait d’ados refusant de vieillir. Ici, cela semble la même chose pour ce couple de quarantenaires…

On n’arrête pas d’apprendre à grandir, à tout âge. Et l’on comprend tous que vieillir et grandir n’est pas nécessairement la même chose. Je ne pense pas que Josh et Cornelia (Ben Stiller et Naomi Watts dans le film, NdlR) ne veuillent pas grandir. Ils ont plutôt du mal à avancer, lui dans sa vie professionnelle et eux deux dans leur mariage. Pour elle, il y a évidemment aussi la question d’avoir un enfant…

Vous avez l’âge de vos personnages… Ce film est-il le reflet de vos propres interrogations ?

Ce qui m’a amené à cette histoire, c’est le fait que je ne parvenais pas à accepter l’âge que j’avais. Je savais que, techniquement, j’avais cet âge, mais bon… Alors on commence à inventer dans sa tête des arguments ridicules : c’est pas la même chose pour vous que pour les autres… J’ai trouvé que c’était un sujet intéressant et drôle à explorer.

Dans le film, Adam Driver et Amanda Seyfried apparaissent très cool mais dans le même temps égoïstes, amoraux… Sont-ils le reflet de la jeunesse contemporaine ?

Je ne pense pas Jamie et Darby soient une représentation de la jeunesse d’aujourd’hui. Mais ils possèdent des aspects intéressants de la culture d’aujourd’hui, de notre relation à la technologie, avec lesquels on pouvait jouer dans le film. Josh est un enfant des années 70 et 80, il pense encore en termes de vie artistique, de génie, un auteur-une voix… Jamie, lui, est un jeune d’aujourd’hui, qui valorise le groupe, le pastiche, le collage. Je pensais évidemment en termes de références culturelles pour ces générations mais cela ne signifie pas que des jeunes d’aujourd’hui ne puissent faire exactement l’inverse de ce que font Jamie et Darby.

Dans le film, Josh, pourtant réalisateur, ne fait plus de hiérarchie entre "Les Goonies" et "Citizen Kane"…

C’est initialement ce qui libère Josh, de tomber sur quelqu’un qui ne se soucie pas d’abord de savoir comment il faut réfléchir. Josh vient d’une autre génération. Son documentaire est d’ailleurs surréaliste tellement il est intellectuel. A tel point que lui-même ne sait plus de quoi il parle… Ça le libère dans un premier temps de rencontrer Josh mais ça ne signifie pas pour autant que "Citizen Kane" ne soit pas un meilleur film que "Les Goonies"…

Vous continuez, vous, à pratiquer un vrai cinéma d’auteur…

Chacun de mes films vient de choses que j’ai en moi et que j’essaye d’articuler, de faire sortir à travers une forme cinématographique que je comprends et ne comprends pas à la fois. Mais oui, ce sont des films personnels; c’est important pour moi. Je ferais des films avec les studios s’ils produisaient le genre de films que je veux faire. Mais je pense qu’aujour- d’hui, c’est très improbable. Pourtant, dans les Seventies, les studios faisaient ce genre de films…

Dans tous vos films, les personnages se battent avec leurs idéaux, pas toujours faciles à mettre en accord avec leur vie… Ce serait la même chose si vous acceptiez de tourner un film de studio ?

Faire un film, c’est beaucoup de travail. J’ai des idées, que j’écris et que je réalise. Je fais ce que j’ai envie de faire. Il y a une longue tradition de réalisateurs qui travaillent comme cela. Même s’il y a une différence plus grande aujourd’hui entre les grosses productions et le type de films que je fais, celle-ci a toujours existé. Mais je ne travaille pas comme ça comme une pause, juste parce que c’est ce que j’ai envie de faire, parce que c’est plus agréable pour moi.

Si on parle souvent de vos influences de Woody Allen, celle de la Nouvelle Vague française était frappante dans "Frances Ha"…

Enfant, j’avais vu "L’enfant sauvage" et "Les 400 coups" de Truffaut mais ce n’est qu’à l’université que j’ai vraiment commencé à regarder les films de la Nouvelle Vague. "Jules et Jim" m’a vraiment impressionné. Puis, dix ans plus tard, j’ai commencé à apprécier les films d’Eric Rohmer d’une façon dont j’étais incapable plus jeune. Mais il n’y a pas que la Nouvelle Vague qui m’inspire. J’ai vu beaucoup de films et je continue à en regarder beaucoup.

New York est le thème de votre carte blanche à la Cinémathèque. C’est la ville que vous filmez, sauf dans "Greenberg", qui se passait à Los Angeles mais dont le personnage était un New-Yorkais… dépressif à l’idée d’être en Californie.

"Margot va au mariage" aussi était tourné en dehors de la ville, dans l’Etat de New York, mais c’est vrai que les gens n’étaient pas très heureux non plus… Après ces deux films, je suis revenu à New York avec "Frances Ha". Et le noir et blanc me permettait de voir la ville avec des yeux neufs. J’ai un feeling avec New York, une histoire avec elle. J’y ai grandi, ce sont les rues dans lesquelles je marche tous les jours… La ville m’intéresse d’un point de vue anthropologique, en tout cas dans mes trois derniers films (dont le prochain "American Mistress", à nouveau coécrit et joué par sa compagne Greta Gerwig, qui sort cet été aux Etats-Unis, NdlR). Mais cela ne signifie pas que je ne voudrais pas aller voir ailleurs à nouveau. J’aimerais tourner en Europe par exemple. Mais New York est, je suppose, une inspiration.

Rétrospective à Cinematek

Jusqu’au 19 août, Cinematek revient sur la filmographie de Noah Baumbach depuis "The Squid and the Whale" (le 1/8). On peut y revoir encore "Margot va au mariage" (8/8), "Greenberg" (13/8) et "Frances Ha" (19/8). Mais aussi "The Life Aquatic" (30/7) et "Fantastic Mr Fox" (9/8), deux films de Wes Anderson dont Baumbach a coécrit le scénario. Parallèlement, se poursuit jusqu’au 9 août sa "Carte blanche" consacrée à New York. Encore au programme : "Holiday" de George Cukor (23/7), "La septième victime" de Mark Robson (26/7) et "Rosemary’s Baby" de Polanski (9/8).

La filmo de Baumbach

Kicking and Screaming (1995), avec Josh Hamilton.

Mr. Jealousy (1997), avec Annabella Sciorra et Eric Stoltz.

Highball (1997), signé sous le nom Ernie Fusco, avec Noah Baumbach et Peter Bogdanovich.

The Squid and the Whale (2005), avec Jeff Daniels, Laura Linney, Jesse Eisenberg.

Margot at the Wedding (2007), avec Nicole Kidman, Jennifer Jason Leigh (son épouse à l’époque).

Greenberg (2010), avec Ben Stiller, Greta Gerwig (sa compagne actuelle et muse).

Frances Ha (2012), avec Greta Gerwig, Adam Driver.

While We’re Young (2014), avec Ben Stiller, Naomi Watts.

Mistress America (2015), avec Greta Gerwig (sa compagne actuelle). (2007), avec Nicole Kidman, Jennifer Jason Leigh (son épouse à l’époque).

Le nouveau Woody ?

Combien de fois Noah Baumbach a-t-il dû entendre qu’il était le nouveau Woody Allen ? "Je suis flatté si c’est dit comme un compliment, commente-t-il. Enfant, quand je l’ai découvert, j’ai été terrassé. J’adorais non seulement ses films mais aussi sa prose comique dans "The New Yorker". Pour moi, ses films étaient diablement excitants. C’est l’exemple le plus fameux de ce qu’est devenue à l’époque moderne la screwball comedy hollywoodienne classique. Il est très Américain mais il a aussi pris beaucoup au cinéma européen. Je partage avec lui cela. Dans mes films, il y a des aspects très américains, comme le sentiment de succès ou d’échec par exemple. Mais il y a aussi une grande influence européenne dans mon cinéma."

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