Série de l'été: David Murgia, le feu sacré des hauts-fourneaux
Alors qu’on le retrouve dans le hall de la gare de Verviers, on imagine sans peine résonner les pas des membres de sa famille, les Murgia et les Rodriguez Flores. C’était il y a quelque 50 ans : Italiens pour les uns (côté paternel) et Espagnols pour les autres (côté maternel), ils débarquent dans le centre mondial du textile.
Publié le 09-08-2015 à 17h59 - Mis à jour le 10-08-2015 à 08h23
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Alors qu’on le retrouve dans le hall de la gare de Verviers, on imagine sans peine résonner les pas des membres de sa famille, les Murgia et les Rodriguez Flores. C’était il y a quelque 50 ans : Italiens pour les uns (côté paternel) et Espagnols pour les autres (côté maternel), ils débarquent dans le centre mondial du textile. Pour travailler qui dans les usines de laine, qui dans le cadre d’un échange "un homme une tonne de charbon" entre l’Italie et la Belgique. La "petite" histoire de ces immigrés arrivés du fin fond du sud de la Méditerranée va contribuer à la grande Histoire. David Murgia est leur petit-fils et neveu.
Quand on a contacté le jeune acteur belge, afin de tirer son portrait pour la série, son enthousiasme nous a tout de suite emporté. "Rendez-vous à la gare de Verviers, où mes ‘tios’ (oncles) ont débarqué, nous irons ensuite prendre l’apéro chez l’un d’eux, puis nous rendrons visite à mes parents à Soumagne avant de filer au terril de Retinne où j’ai grandi. Nous rallierons ensuite Fétinne où je suis impliqué dans un projet d’atelier photo pour les sans-papiers et nous terminerons par Seraing où je réside, pour deux ans, avec ma copine qui réalise une thèse sur la reconversion des anciens travailleurs de la sidérurgie liégeoise." Le programme était tellement chargé qu’on aura finalement zappé la dernière étape...

Verviers, rue du Paradis
Nous sommes chez Alfonso, en compagnie de ses frères José et Pablo. "Qué novèl ?" demande Alfonso, en wallon, alors que David lui répond en espagnol. On pressent d’emblée le chemin que l’on va parcourir, et l’empreinte que tout cela a laissé, deux générations plus tard. "Etre précisément sur une seule ville ne signifie pas grand-chose pour moi", nous avait averti David. Là, en quelques quarts d’heure, on va être plongé dans une part importante de l’histoire de la Belgique. On essaie de suivre le plus attentivement possible cette vaste fresque familiale, alors que le soleil tape, comme là-bas, et que l’on boit du vin, toujours de là-bas. En guise de tapas : olives et fromage... Alfonso, qui arrive le premier en Belgique, les autres, qui suivent de leur propre gré, et la famille complètement recomposée, quand la mère se pointe… et prend le pouvoir. Son fils, le fameux Alfonso, lui remet les 12 000 francs belges qu’il a économisés !

Ils en ont des choses à raconter, ces tios. Ce n’est pas que les langues se délient, la parole est libre, on se confie, on va même jusqu’à livrer des choses intimes. Il y aurait de quoi écrire un livre. Qui ne ferait qu’étayer "sans passé, il n’y a pas d’avenir". On se contentera de quelques lignes. Le franquisme, la guerre d’Espagne, du travail dégoté dans ce qui est alors le centre mondial du textile, la construction des hauts-fourneaux à Seraing, et tant d’autres fragments, loin d’être des détails, tellement passionnants. La femme d’Alfonso sort des photos d’époque. Dont celle de Léonora, la maman de David.
Soumagne. Le bois de Micheroux
Une maison dans un quartier résidentiel. Il y a 10 ans, les parents de David ont fait construire cette jolie demeure. Avec l’aide des frères qui, par la force des choses, ont appris à maîtriser de nombreux domaines : maçonnerie, électricité, plomberie. Sa maman, ancienne coiffeuse, est dorénavant gardienne ONE. On l’écoute nous entretenir des valeurs qu’elle a inculquées à ses fils (David, mais aussi le metteur en scène Fabrice) "qui ne s’apprennent pas à l’université", précise David. Ce n’est pas qu’on était convaincue d’avance, mais presque - au vu du parcours de sa progéniture. En voiture, chez les tios, chez ses parents, David discourt avec un même enthousiasme et un même esprit de persuasion. Il décrypte, il analyse, il recontextualise. Là, il vient de se lancer sur le terrain de la politique belge. "Ils sont en train de détricoter tout ce que nos parents ont gagné." Sa maman l’écoute, subjuguée. Ce feu sacré, cette inclination à questionner le monde, tout le temps, à le remettre en question, quand cela lui est-il venu ? "A l’adolescence, nous situe le jeune homme. Une période, où tu peux être habité par de féroces indignations, par de puissantes incompréhensions." Comme son frère, il "fera" le Conservatoire, option arts dramatiques. "Le théâtre est un art passionnant, qui peut prendre de multiples formes (de Dario Fo à Castellucci). On y croise des figures intellectuelles que l’on peut fouiller", s’enthousiasme l’acteur. Comme celle de l’Italien Ascanio Celestini (43 ans) et son "Discours à la nation" qui décrypte les rapports entre classes dominantes et dominées et que David Murgia interprète magistralement.

Retinne. Rue du Fort
Par cette chaude journée d’août, on grimpe de nouveau dans la voiture de David, direction la maison d’enfance. Le poète engagé et libertaire Paco Ibañez tourne sur l’autoradio. "Bien puede ser, no puede ser", poème de Luis de Góngora. David fredonne les paroles qu’il connaît par cœur.
La bâtisse est dans un piètre état. Mais… elle vient d’être rachetée par un Italien et sa compagne belge, nous informe Daniela, la voisine qui, après avoir observé de sa fenêtre le ballet de l’artiste obtempérant aux indications du photographe, a sorti le bout de son nez. C’est à ce moment que David commente : "D’où tu prends la photo (sur le premier tiers de la route qui mord avec le trottoir, NdlR), j’ai connu la première bagarre de ma vie. J’ai fait saigner quelqu’un du nez." Quand on emprunte la servitude de passage, on se retrouve à l’arrière de la maison, là où David a connu ses premiers émois cycloplédiques en compagnie de son frère. C’est là aussi qu’il a appris à monter à cheval. Un joli lapsus se glisse : "mes parents ne m’ont pas inscrit à l’éducation" (à la place d’équitation…). Il y a un ancien terrain de foot, aussi, des marécages où, en bon descendant de Méditerranéen, il a failli mourir 12 fois (!)
La mère de David, Leo(nora) est arrivée la dernière alors qu’elle avait à peine 1 an et trois mois. David assène : "Ils étaient les sans-papiers de l’époque." Il y a 50 ans, on ne badinait déjà pas avec les précieux sésames. Carte d’identité, permis B, permis A, demande renouvelable d’année en année : on essaie de suivre les procédures administratives, lourdes, kafkaïennes tout en pensant que les choses n’ont guère changé. L’étape à Fétinne où David Murgia nous présentera les sans-papiers avec qui il anime un atelier photo corroborera notre sentiment.

Impossible de ne pas déceler de signe d’engagement dans tout ce que touche l’acteur de 27 ans. Si une once de résignation avait dû nous habiter, sûr qu’à ses côtés, elle aurait été balayée. C’est cela aussi qui l’habite : réveiller les consciences.
Bio express: David Murgia
16 mars 1988 Naissance à Verviers
2005-2008 Conservatoire de Liège
"Discours à la nation" d’Ascanio Celestini est repris le 30 août au Festival des solidarités à Namur.
Tout autre chose. L’acteur engagé soutient "fortement les initiatives telles que ce mouvement citoyen et tout autre qui lutte contre le morbide Tina (there is no alternative - il n’y pas d’autre choix)"
Lundi 17 août : Jan Goossens et Bruxelles
--> Lundi prochain: Jan Goossens et Bruxelles.