"L'hermine" : Luchini dans un bel hommage à la justice

Très documenté, restant au plus près de la vérité d’un procès, "L’hermine" rend à la justice sa dimension théâtrale inhérente. Mais Christian Vincent va plus loin.

H. H.

Christian Vincent retrouve Luchini pour un bel hommage à la justice. A Saint-Omer, Michel Racine (Fabrice Luchini) est craint de tous. Au tribunal, on l’appelle le "président à deux chiffres" pour sa propension à forcer sur les peines de prison. Aigri, vivant à l’hôtel après avoir été viré par sa femme et par-dessus le marché grippé, il doit présider un procès douloureux, celui d’un père accusé d’infanticide. Surprise ! Dans le jury, il découvre Brigit (Sidse Babett Knudsen, l’héroïne de la série danoise "Borgen"), une femme qu’il a aimée six ans auparavant sans que cet amour soit payé de retour. De quoi ébranler les certitudes de ce vieux grincheux…

Impérial. Il n’y a pas d’autres mots pour décrire la prestation de Fabrice Luchini, très justement récompensé d’un prix d’interprétation à la Mostra de Venise. Le comédien est, on s’en doute, très à l’aise dans le rôle de ce président de cour d’assises bougon et amoureux. Vingt-cinq ans après "La discrète", le tandem Christian Carion/Fabrice Luchini se reforme pour le meilleur dans cette œuvre sensible qui réaffirme les valeurs de la justice et, à travers elle, les vertus de la démocratie…

Très documenté, restant au plus près de la vérité d’un procès, "L’hermine" rend à la justice sa dimension théâtrale inhérente. Mais Christian Vincent va plus loin. Il se glisse aussi dans les coulisses pour croquer les suspensions de séances, les discussions entre jurés, les blagues entre magistrats aux toilettes ou encore le trac du président avant de monter sur scène… Et, in fine, le réalisateur parvient à marier l’impossible : le film de procès et la romance.

Après deux comédies plutôt légères, "Quatre étoiles" avec Isabelle Carré et José Garcia en 2005 et "Les saveurs du palais" avec Catherine Frot et Jean d’Ormesson en 2012, Christian Vincent revient ici à l’essence de son cinéma, c’est-à-dire la délicatesse. Avec "L’hermine", le cinéaste rend en effet un bel hommage à la justice à travers les hommes et les femmes qui sont amenés à la rendre, qu’ils soient magistrats professionnels ou humbles citoyens tirés au sort. Car ce que filme Vincent dans le Nord, c’est aussi une France plurielle, synthétisée dans un jury appelé à décider, en âme et conscience, du sort d’un autre être humain. Une tâche résumée dans ce magnifique serment des jurés que déclame avec conviction Luchini : "Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X…, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter…"

"L'hermine" : Luchini dans un bel hommage à la justice
©DR

Scénario & réalisation : Christian Vincent. Photographie : Laurent Dailland. Montage : Yves Deschamps. Avec Fabrice Luchini, Sidse Babett Knudsen, Michaël Abiteboul, Chloé Berthier… 1h38.

Christian Vincent : "J’ai de plus en plus l’impression de faire du cinéma pour parler de mon pays"

"L'hermine" : Luchini dans un bel hommage à la justice
©Victory

Le cinéaste est inquiet de l’évolution de la France. A travers ce film, il souhaite redonner sa dignité à la justice et à la démocratie dans son pays. 

En septembre dernier, Christian Vincent présentait "L’hermine" en Compétition à la Mostra de Venise. "Ce n’est pas un milieu dans lequel je me sens très à l’aise. Je ne vais pas dans les festivals d’habitude", attaque le réalisateur français, très détendu, fumant une cigarette au bord de la piscine de l’hôtel Excelsior. Il faut dire que "L’hermine" passait alors quelque peu inaperçu aux yeux de la presse internationale. Quelques jours plus tard, le film sera pourtant doublement récompensé par le jury d’Alfonso Cuarón : prix du scénario et celui du meilleur acteur pour Fabrice Luchini. Comédien que le cinéaste avait largement contribué à révéler au grand public grâce au succès de "La discrète" en 1990.

Le film se clôt sur le magnifique serment des jurés. Etait-ce important pour vous de rappeler les fondements de la justice ?

Bien sûr et même ceux de l’exercice démocratique. De plus en plus, j’ai l’impression de faire du cinéma pour parler de mon pays. C’est un pays qui traverse des crises, comme tous les pays européens. Je veux montrer la France dans toute sa diversité. Il y a des gens qui vivent difficilement, d’autres très facilement. Une salle de cour d’assises est l’un des rares endroits où toutes les classes sociales peuvent se croiser. C’est passionnant à observer. D’un côté, on a des magistrats, des têtes assez bien faites. On sait qu’ils ne sont pas très bien payés et qu’ils travaillent beaucoup, avec le souci du bien commun. Et à côté de cela, on a le peuple de France. Les jurés sont tirés au sort sur les listes électorales. Tandis que les gens dans le box des accusés ou celui de la partie civile, en tout cas aux assises, viennent généralement des milieux populaires. C’est l’un des rares endroits où il y a une parole qui circule entre de gens qui, normalement, n’auraient jamais dû se rencontrer. Je souffre de cela. On fréquente les gens de notre condition, qui ont fait les mêmes études que nous… Moi, je ne fréquente pas le milieu du cinéma; mes amis ne font pas partie de ce monde.

Comment se sont déroulées ces retrouvailles avec Luchini ?

Avec mon producteur, qui avait produit un film avec Luchini, on s’est dit qu’un président de cours d’assise un peu atteint par l’âge de la retraite, ce serait un rôle pour Fabrice, qui a 64 ans… J’ai imaginé un personnage qui traverse une période difficile de sa vie, plutôt misanthrope, amer, atrabilaire. Mais son passé va ressurgir avec cette femme qu’il a aimée. Un président d’assises peut en effet connaître un juré, ce n’est pas interdit par la loi. Il n’a d’ailleurs pas le pouvoir de récusation; celui-ci est réservé à la partie civile et à la défense.

Comment avez-vous choisi l’affaire racontée ici ?

Il fallait intéresser le spectateur à l’histoire intime de ce personnage et en même temps au déroulement du procès. J’ai rencontré deux avocats pénalistes qui m’ont parlé de leurs affaires. Me Patrick Maisonneuve m’a raconté un procès où un type s’était accusé lui-même d’avoir tué son enfant à coups de santiags pour couvrir sa femme. A partir de là, il a fallu tout inventer. J’ai aussi pu assister à deux procès dans d’excellentes conditions car j’étais assimilé à un élève-magistrat. Quand il y avait une suspension de séance, je me levais avec la cour pour passer dans les coulisses. J’ai donc vu les jurés faire connaissance, poser des questions… J’allais déjeuner avec eux. Cela m’a servi pour nourrir cette histoire.

On voit beaucoup de films de procès. Mais ici, vous vous intéressez presque autant aux coulisses qu’à l’affaire elle-même…

Je voulais que les jurés soient un personnage du film. Il s’agit d’une illustration de ce que l’on appelle la démocratie. Tirer au sort des gens en leur demandant de prendre des décisions, on faisait ça chez les Romains il y a deux mille ans. C’est quelque chose qu’on a perdu mais qui n’est pas mal parce que cela met les gens en responsabilité. Ce n’est pas une idée absurde; la démocratie est aussi un peu née de ça. Maintenant, on est très fier de notre modèle de démocratie représentative mais cela devient des professionnels qui décident pour nous. Je ne serais pas du tout hostile à ce que l’on tire des gens au sort dans une commune pour décider par exemple…

Le film montre également la justice comme un théâtre avec sa scène, ses costumes…

C’est beaucoup plus facile de filmer des endroits qui ont déjà un très fort cérémonial car la mise en scène est déjà à moitié faite. Cela me passionnait de montrer à la fois le côté très solennel du procès et les coulisses. J’aime bien passer de ces moments très formels que voit le public aux pauses pipi, dont il faut tenir compte pour les gens un peu âgés par exemple… Dans un juré, il y a de tout, des grandes gueules, des timides, des profs de fac ou des gens complètement illettrés… Là, on sent battre le cœur du pays. Il se passe quelque chose. En plus, j’aime bien les portraits, montrer les gens, de nouvelles têtes…

Avec ce film, vous rappelez également que la justice n’a pas pour but ultime la recherche de la vérité…

La vérité surgit dans le meilleur des cas, parfois pas… Dans les deux procès auxquels j’ai assisté, on ne savait pas ce qui s’était passé. Il y a parfois des vérités contradictoires. Quand il n’y a pas d’aveux, c’est impossible de savoir car on n’était pas là. On demande donc aux jurés de se faire une intime conviction et de prononcer une sentence. La justice est là pour rappeler la loi, pas pour proclamer la vérité…

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