"Mia madre" : La chambre de la mère

Nanni Moretti touche ici le point d’équilibre entre émotion et humour, autofiction et politique.

Fernand Denis

Nanni Moretti touche ici le point d’équilibre entre émotion et humour, autofiction et politique.Le film démarre bancalement. On assiste à une manifestation qui tourne à l’affrontement violent entre ouvriers et policiers. Ça sonne faux. En fait, c’est un tournage et la scène est vue d’un mauvais angle, celui du making of en quelque sorte. Nanni Moretti fait-il son "8 ½", sa "Nuit américaine", son essai sur le 7e art ? Oui et non. Oui, il est l’auteur du film bien sûr, mais il a confié le rôle du metteur en scène à une femme, à sa sœur dans le récit.

Celle-ci est douée, si on en croit le respect témoigné par son équipe. A moins que ce soit de la crainte, celle qu’inspire un dictateur de plateau, jamais contente, jamais reconnaissante, complètement égocentrique.

Nanni Moretti s’est attribué le rôle du frère, très en retrait, même carrément en pause pour se tenir au chevet de sa maman hospitalisée dans la dernière ligne droite de sa vie. Il lui tient compagnie, lui prodigue mille attentions, dont des petits plats cuisinés maison. Cette disponibilité est d’autant plus insupportable pour sa sœur qu’elle est confrontée aux 1001 problèmes d’un tournage que son équipe d’incapables ne peut régler. Le plus gros vient d’ailleurs d’arriver : l’acteur américain qui doit incarner le repreneur de l’usine en faillite. Son ego est inversément proportionnel à sa compétence, c’est dire s’il est naze, si le cauchemar ne fait que commencer.

Avec "Mia Madre", Nanni Moretti réussit en quelque sorte la synthèse de son œuvre, trouve le point idéal d’équilibre entre l’émotion et l’humour, entre l’autofiction et la politique, ces courants qui irriguent son cinéma. Le film tout entier tourne autour de cette question de la recherche du point d’équilibre.

D’abord, le point d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Comme tout un chacun, notre cinéaste est à sa recherche. Elle est très loin de l’avoir trouvé et souffre de ne pouvoir accorder que quelques malheureuses minutes à sa mère, trop accaparée qu’elle est par son film social. Sans même solliciter le pathos dans "La chambre de la maman", notre cinéaste se trouve confrontée à son bilan : une fille qui cherche à partir, un compagnon qui s’en est allé, une mère qu’on n’a pas pris le temps de connaître. Ce prix personnel valait-il de consacrer tout son temps à la cause des travailleurs qui préfèrent les blockbusters, à moins que ce soit pour le ¼ d’heure de gloire au moment de la sortie.

Ensuite, le point d’équilibre entre ce que l’on est et ce qu’on voudrait être. A force d’égocentrisme, le cinéma de Nanni Moretti était parfois devenu insupportable. Cette fois, il a trouvé la bonne distance pour parler de lui, celle de confier son rôle à une femme, la formidable Margherita Buy, et de se regarder s’agiter, d’observer ses comportements autoritaires et déplaisants, d’entendre ses concepts abscons comme demander à l’acteur de jouer à côté de son personnage (en somme, trouver le point d’équilibre entre les caractéristiques du rôle et les siennes).

Enfin, le point d’équilibre entre enrichissement et divertissement. On peut aimer un cinéma ambitieux, qui affronte des questions de fond autour de la mort d’une mère ou du bilan d’une vie sans vouloir absolument sortir de la salle complètement plombé. C’est là que Nanni Moretti sort son joker, un exceptionnel John Turturro chargé, simultanément, d’injecter une dose d’humour irrésistible tout en permettant à Moretti d’avancer sa double réflexion d’homme et de cinéaste. A la fois poignant et irritant, John Turturro est irrésistible. Il atteint même un sommet comique dans une voiture et touche la grâce dans une scène de danse improvisée.

N’oubliez pas vos mouchoirs, "Mia madre" est un film où l’on pleure, un œil d’émotion, l’autre de rire.

"Mia madre" : La chambre de la mère
©DR

Réalisation, scénario: Nanni Moretti. Avec Margherita Buy, John Turturro, Giulia Lazzarini ...1h51

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