"The Big Short" : La crise des subprimes pour les Nuls

Un casting de choix pour un grand thriller financier hollywoodien.

Hubert Heyrendt et Laurent Lambrecht

Un casting de choix pour un grand thriller financier hollywoodien. Personne n’a vu venir la crise financière de 2007. Il suffisait d’écouter les analyses d’Alan Greenspan ou des grands spécialistes de l’économie qui, des deux côtés de l’Atlantique et dans toutes les langues, reproduisaient le catéchisme néolibéral : les marchés sont solides, ont une capacité naturelle à s’autoréguler. Et autres mantras d’une pensée magique imposée comme une science économique infaillible. Personne n’a vu venir l’effondrement ! Personne ? Pas vraiment. Des petits malins avaient, dès 2005, perçu la faiblesse du marché immobilier américain, censé être inébranlable alors que la bulle était en train d’enfler avec la multiplication des subprimes, ces investissements toxiques dont se sont gavées les banques durant des années. En spéculant sur l’effondrement de l’immobilier grâce au principe de la vente à terme, ces traders sans scrupule ont gagné des millions de dollars…

Adapter au grand écran le livre de Michael Lewis "The Big Short : Inside the Doomsday Machine", paru en 2010, n’était pas une gageure. Réaliser un thriller financier palpitant est un tour de force ! Un coup de maître signé Adam McKay, qu’on n’attendait pas vraiment dans ce registre. Le réalisateur s’était jusqu’ici fait remarquer avec une série de comédies appuyées plus ou moins réussies, comme "La légende de Roy Burgundy" ou "Very Bad Cops".

Grâce à une mise en scène efficace, McKay ne laisse pas une seconde de répit au spectateur, bombardé d’informations économiques forcément incompréhensibles puisque les banques elles-mêmes ont péché par ignorance face au monstre financier qu’elles avaient créé… Sauf que, grâce à quelques scènes ludiques, le réalisateur parvient à rendre limpides les notions les plus complexes. Comme lorsque, à ses fourneaux, le chef Anthony Bourdin use de la métaphore culinaire pour expliquer le principe de titrisation d’actifs. Ou quand, à une table de poker de Las Vegas, Selena Gomez nous fait comprendre la notion de CDO synthétique, véritable bombe atomique qui a eu raison du système financier.

La pédagogie dans "The Big Short" passe aussi par un sens aigu du montage, hyper serré, qui donne au film un rythme effréné pour raconter en détail cette histoire incroyable. Si ce n’est qu’elle est vraie, comme le rappellent régulièrement les personnages en s’adressant directement au spectateur face caméra.

Mais qui dit grand thriller hollywoodien, dit aussi de vrais héros. Ou antihéros en l’occurrence, puisque ces dirigeants de fonds spéculatifs ont misé sur la déconfiture de l’économie américaine. Tout en restant toujours dans les clous de la légalité. A la différence du personnage baroque de Leonardo Di Caprio dans "Le loup de Wall Street" de Scorsese, autre charge féroce récente contre la finance folle…

"The Big Short" est porté par des acteurs au sommet de leur art. Que ce soit Christian Bale en investisseur fou et visionnaire, Ryan Gosling en banquier requin qui la joue perso, Brad Pitt en trader à la retraite préférant faire pousser son potager bio, tous sont habités par ces êtres "bigger than life". Mais c’est Steve Carrell qui tire son épingle du jeu, en trader colérique dévasté par une crise de conscience. Après "Foxcatcher", l’ex-comique termine l’année aussi bien qu’il l’avait commencée !

"The Big Short" prouve en tout cas une nouvelle fois la capacité d’Hollywood à aborder avec une vraie audace l’histoire américaine la plus récente. Dans un film libre et engagé qui condamne fermement l’immoralité d’un système financier qui a poussé 8 millions d’Américains au chômage et qui a fait perdre leur logement à 6 millions d’entre eux… Huit ans plus tard, les Etats-Unis comme l’Union européenne viennent de réautoriser la titrisation. Jusqu’à la prochaine crise…

"The Big Short" : La crise des subprimes pour les Nuls
©DR

Réalisation : Adam McKay. Scénario : Adam McKay Charles Randolph (d’après le livre de Michael Lewis). Photographie : Barry Ackroyd. Musique : Nicholas Britell. Avec Christian Bale, Steve Carrell, Brad Pitt, Ryan Gosling, Marisa Tomei… 2h10.

CDS, CDO synthétiques… des armes de spéculation contre le marché immobilier américain

Des financiers plus malins que les autres se sont fait créer des produits sur mesure pour parier sur l’effondrement des fameux subprimes.

Le livre "The Big Short", sur lequel se base le film d’Adam McKay, raconte comment une poignée de gérants de fonds d’investissement a réussi à engranger de plantureux bénéfices en pariant sur la chute du marché immobilier américain et des fameux crédits subprimes.

Jusqu’à la moitié des années 2000, des sociétés de crédits immobiliers ont massivement prêté de l’argent à des ménages qui n’avaient pas les moyens de rembourser leurs dettes. Pour octroyer toujours plus de prêts (et par la même occasion toucher davantage de commissions), ces sociétés de crédits se sont débarrassées du risque de défaut de remboursement d’une façon simple : les créances ont été regroupées au sein de produits financiers qui ont ensuite été revendus à des investisseurs. Ces paquets de crédits composés de plusieurs tranches, allant de la plus risquée à la plus sûre, sont appelés CDO, pour "Collateralized Debt Obligations" ou obligations adossées à des crédits.

A son apogée, le marché des subprimes a représenté 500 milliards de dollars de nouveaux prêts par an. Tant que les prix des maisons continuaient à grimper en flèche, l’illusion pouvait continuer. En effet, le système des subprimes permettait aux ménages de ne rembourser qu’une petite partie du crédit pendant les deux ou trois premières années de leur prêt. Si les prix de l’immobilier continuaient à monter, les emprunteurs pouvaient refinancer leurs prêts avant que les mensualités n’augmentent.

La magie dans tout cela est que des CDO composés de crédits octroyés à des emprunteurs peu solvables ont été notés "triple A" par les agences de notation. Mais des patrons de fonds d’investissement plus lucides que les autres ont compris qu’une bulle allait bientôt éclater. Ils en ont observé les premiers signaux lors de l’année 2005, lorsque les défauts de remboursement des crédits immobiliers ont commencé à augmenter.

Pour tirer profit de la catastrophe, ces gérants de fonds d’investissement ont décidé de parier sur la chute des crédits subprimes. Mais contrairement à ce qui existe sur le marché des actions, il n’est pas possible de vendre un CDO à découvert. Ils ont donc dû s’y prendre autrement pour "shorter" les subprimes. Au cours de l’année 2005, Mike Burry, le gérant de Scion Capital, a fait le tour des grandes banques de Wall Street afin qu’elles créent pour lui des CDS ("Credit Default Swaps") liés aux crédits subprimes. Ces CDS sont des polices d’assurance qui permettent d’être couvert en cas de défaut de paiement d’un emprunteur. Si un nombre suffisamment important de crédits composant le CDO n’étaient pas remboursés, le détenteur du CDS pouvait activer sa police d’assurance et recevoir le montant correspondant. La particularité du marché des CDS est qu’on peut être assuré contre le défaut du CDO même si on ne le détient pas. C’est un peu comme être assuré contre le vol de la voiture de son voisin…

A la fin du mois de juillet 2005, Mike Burry aura acquis pour 750 millions de dollars de CDS liés à des crédits subprimes. Il sera bientôt imité par d’autres petits malins.

Alors qu’à la mi-2005, le marché des CDS lié aux obligations hypothécaires n’existait pas, il pèsera plusieurs milliards de dollars trois ans plus tard. Par la même occasion, il engendrera plusieurs centaines de milliards de dollars de pertes parmi les grands noms de Wall Street qui avaient offert ces polices d’assurance. Parmi les victimes figure l’assureur AIG, qui a été le plus gros vendeur de CDS. Considéré comme trop gros pour faire faillite, l’assureur américain a reçu 182 milliards de dollars de la part des contribuables américains pour éviter la banqueroute.

The "Big Short" montre aussi le double jeu des grandes banques comme Goldman Sachs : en vendant des CDO à ses clients d’un côté et en pariant sur la chute des subprimes de l’autre côté. Via des CDO… synthétiques.

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