"Ma Loute": Luchini en surrégime, Binoche hors contrôle

Le rôle de la comédie est de produire du rire, mais il existe quantité de rires; du gras, du généreux, du poétique… Celui de "Ma Loute" est méprisant, condescendant, haineux.

F. Ds

Bruno Dumont voudrait être Scola et Mack Sennett, mais il n’a pas le talent.

Ma Loute, c’est l’aîné de la famille, le deuxième s’appelle sans doute biloute puisqu’on est dans le Nord, au bord de la baie de la Slack.

C’est le début du XXe siècle, les premiers touristes viennent se promener dans ce décor magnifique. Avec son père, Ma Loute prend les touristes dans ses bras pour les amener sur la plage en traversant les marécages. Ça coûte 20 centimes au promeneur, la vie s’il est seul car il se prend un coup de rame à l’arrivée et on le sert à table le lendemain. La viande ça change du poisson dans cette famille de pêcheurs. D’autant qu’elle est de qualité, c’est du riche nourri au poulet fermier. Ce n’est pas délicieux pour autant, la maman de Ma Loute n’a aucune notion de cuisine.

Deux policiers enquêtent sur ces disparitions, Laurel et Hardy dans les costumes des Dupond et Dupont. Quand ils parlent, on devine une phrase sur deux, le film est en ch’ti non sous-titré.

C’est l’été, une famille de grands bourgeois vient le passer dans sa villa d’inspiration égyptienne avec vue imprenable sur la baie. M. Van Peteghem a épousé sa cousine et a fait un enfant à sa propre sœur. Garçon ou fille ? Suspense.

Des prolos cannibales d’un côté, des capitalistes fin de race de l’autre, deux policiers à la masse entre les deux; voilà les ingrédients de cette comédie servie à la carte par Bruno Dumont. Comme des orteils servis dans leur sang, elle a un goût particulier.

L’idée du réalisateur du "p’tit Quinquin" est celle d’un spectacle burlesque mais dépourvu de sens du rythme, on est plutôt dans le grotesque. Les personnages sont choisis pour leurs tronches et les acteurs sont poussés dans l’outrance. Luchini est en surrégime et Juliette Binoche hors contrôle. Si on déteste ces acteurs, c’est évidemment très drôle de les voir se ridiculiser.

Le rôle de la comédie est de produire du rire, mais il existe quantité de rires; du gras, du généreux, du poétique… Celui de "Ma Loute" est méprisant, condescendant, haineux. Quand Luchini sert un doigt de "wisseki" à l’apéro, on se dit que Dumont ne l’a pas raté. Quand Binoche surjoue sa cinquième crise d’hystérie, on a du mal pour elle. On a du mal pour eux, on a du mal pour ces acteurs, professionnels ou non, dont on se fout de la gueule car leurs personnages n’existent pas, ils sont au-delà de la caricature, inconsistants, inexistants.

Bruno Dumont rêvait de croiser Mack Sennett avec le Scola de "Affreux, sales et méchants", de mixer burlesque et férocité mais il n’a pas le talent, ni de l’un, ni de l’autre, juste le dégoût du genre humain. Le seul talent visible c’est celui de Guillaume Deffontaines, qui tout au long offre un contrepoint radical, celui de la fulgurante beauté de la côte d’Opale.

"Ma Loute": Luchini en surrégime, Binoche hors contrôle
©IPM

Réalisation, scénario, montage : Bruno Dumont. Avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedeschi… 2h02


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