"La tortue rouge": Un conte aquatique de rêve
Miracle que le cinéma réserve parfois, ce petit chef-d’œuvre est le fruit de la rencontre idéale entre l’univers d’un des plus grands artisans-animateurs des vingt-cinq dernières années, le Hollandais Michaël Dudok de Wit, et celui du plus célèbre et célébré studio d’animation japonais.
Publié le 29-06-2016 à 09h39 - Mis à jour le 29-06-2016 à 09h50
Produit par le studio Ghibli, Michaël Dudok de Witsigne un joyau.
Hasard du calendrier des sorties, une semaine après "Le Monde de Dory" des studios Pixar, voici un second film d’animation aux décors aquatiques, mais signé par un auteur européen et produit par un studio japonais. Qu’on ne redoute en rien une œuvre expérimentale ou réservée à un public averti. Accessible à tous les âges, qui l’apprécieront selon leur degré de compréhension, "La Tortue rouge" est un joyau d’une rare perfection formelle.
Miracle que le cinéma réserve parfois, ce petit chef-d’œuvre est le fruit de la rencontre idéale entre l’univers d’un des plus grands artisans-animateurs des vingt-cinq dernières années, le Hollandais Michaël Dudok de Wit, et celui du plus célèbre et célébré studio d’animation japonais, Ghibli, maison-mère des films des maîtres Hayao Miyazaki et Isao Takahata. Le studio collabore pour la première fois avec un artiste non japonais. Le résultat est une symphonie poétique qui mêle les meilleurs du talent et du savoir-faire de ceux qui l’ont réalisé et produit.
Traditionnellement, la tortue est autant symbole d’une relation harmonieuse avec l’environnement que totem de la détermination, de la patience et de la sérénité. Quel autre animal pouvait être au centre du premier long métrage de Michaël Dudok De Wit, attendu depuis plus de quinze ans, et de sa collaboration avec le studio Ghibli, dont bien des œuvres ("Mon voisin Totoro", "Princesse Mononoké", "Ponyo sur la falaise") ont évoqué le nécessaire équilibre entre les êtres humains et la Nature ?
Ce film sans parole est accompagné tout du long d’une partition musicale magistrale de Laurent Perez Del Mar, qui a signé auparavant celles d’autres œuvres animées comme "Peur(s) du noir", "Zarafa" ou "Loulou l’incroyable secret".
Le récit s’ouvre sur des prémices funestes autant que familières : une mer déchaînée ballotte comme un fétu de paille un naufragé, minuscule point dans l’immensité déchaînée. Ce pauvre Robinson échoue sur une île, à la végétation luxuriante. Il en fait le tour, en explore la forêt de bambous, en escalade le pic rocheux… Les lieux sont déserts.
Le naufragé entreprend de fabriquer un radeau, le met à la mer et tente de quitter l’île. A quelques encablures, un choc sous-marin pulvérise son embarcation. L’homme recommence, revit la même mésaventure. Au troisième essai, il plonge, et découvre que son assaillant est une tortue rouge géante. Le lendemain, lorsque celle-ci débarque sur la plage de l’île, le naufragé entend bien s’en débarrasser. Entreprise tragique, qui aura une conséquence aussi inattendue que merveilleuse…
Aussi éloignés géographiquement qu’ils soient, les Pays-Bas et le Japon ont un point commun : ce sont deux nations maritimes, dont la topologie particulière a amené les habitants à respecter les forces de la Nature et celles de la mer en particulier. L’eau est un motif récurrent des courts métrages de Michaël Dudok De Wit, notamment "Le Moine et le Poisson" (1994) et "Père et Fille" (2000). Elle reste un élément déterminant dans "La Tortue rouge". Cet amour humble unit le réalisateur avec ses producteurs nippons - chez qui elle fut déjà le berceau d’une créature aquatique bienveillante dans "Ponyo sur la falaise" (2008), notamment.
Le syncrétisme artistique unifie idéalement les visions du réalisateur à celles de ses prestigieux producteurs. Le résultat est un conte rythmé et émouvant, où on pourra lire une métaphore rousseauiste de l’amour, de la vie en couple et de la famille - littéralement représentée comme une île paradisiaque. Une vie rêvée - ou pas - dont toutes les grandes étapes scandent le récit, linéaire, mais d’une rare justesse, jusque dans ses ellipses.
Cette note d’intention est transcendée par des envolées oniriques et fantastiques, moments de pure poésie et de maestria visuelle, servies par un graphisme d’une lisibilité parfaite. On y reconnaît autant la grâce et l’inspiration de Dudok De Wit que le savoir-faire et l’iconographie des artisans et animateurs du studio français Prima Linea (et, sans doute, quelques influences inconscientes à leurs partenaires nippons, notamment dans une époustouflante séquence de tsunami). De 7 à 77 ans, plongez-y la tête la première sans crainte et laissez-vous submerger.

Réalisation : Michaël Dudok De Wit. Musique : Laurent Perez Del Mar. 1h20.