"Neruda" : A la poursuite du poète chilien
- Publié le 04-01-2017 à 09h09
- Mis à jour le 04-01-2017 à 09h12
Pablo Larraín retrace tel un polar un épisode capital de la vie du poète chilien.S’attaquant à Pablo Neruda, figure majeure et mythifiée de la littérature et de la poésie de langue espagnole, le réalisateur chilien Pablo Larraín détourne allègrement les codes de la fresque biographique pour se concentrer sur un épisode crucial de la vie du "Poète", revisité à travers le prisme du polar.
En 1948, devenu parlementaire sous l’étiquette du Parti communiste, Pablo Neruda (Luis Gnecco) est menacé d’emprisonnement par le régime alors que le président de la République, élu avec l’aide du PC, se retourne contre ses anciens alliés, pour satisfaire les Etats-Unis.
Aisé, représentant de ce qu’on n’appelait pas encore la gauche caviar, Neruda passe dans la clandestinité et s’interroge avec sa femme Delia del Carril (Mercedes Moran), aristocrate argentine, sur l’opportunité de quitter le pays. Avec un policier obstiné, Oscar Peluchonneau (Gael Garcia Bernal) - narrateur de l’histoire - aux trousses, le Poète descend vers les contreforts de l’Auracan, tout en rédigeant ce qui passera à la postérité comme son chef-d’œuvre, "Le Chant général".
Dans "No", autre évocation historique d’un moment-clé de l’histoire chilienne (le référendum sur le maintien de Pinochet au pouvoir), Pablo Larraín avait adopté une forme quasi-documentaire, au naturalisme cru. Pour Neruda, il a intelligemment compris qu’il devait trouver un style visuel et un angle narratif dignes de son héros féru de romanesque. La clé réside précisément dans le mythe en construction : Neruda, dès la guerre d’Espagne, forgea sa propre légende, tout en servant la cause communiste par son art.
La scène d’ouverture est déjà en soi surprenante : dans l’antichambre du Parlement chilien, les élus de la nation débattent et s’affrontent. La pièce est grande, majestueuse, ornée de l’apparat qui sied au lieu. Mais l’on découvre que l’un des murs n’est qu’une rangée d’urinoirs. Pendant que les parlementaires s’invectivent, ils font leur petite commission comme si de rien n’était.
A partir de cette introduction prosaïque, Neruda va évoluer toujours plus loin dans un espace mental et visuel presque fantasmatique, qui s’amuse plus souvent qu’à son tour à railler les postures de son protagoniste.
La mise en scène est parfois volontairement artificielle, tels les désuets effets de transparence dans les scènes de voiture ou les postures clichés du flic incarné par Bernal. Le romanesque, qui constituait autant l’œuvre que la vie de Neruda, se traduit à l’écran par ces jeux de référence au cinéma classique. La dernière partie du récit, qui se déroule avec ampleur dans les paysages enneigés de l’Auracan, évoque immanquablement le western hollywoodien de l’âge d’or.
Autant que la performance décalée - et assumée - de Bernal, il faut saluer celle de Luis Gnecco, qui trouve l’emphase et le charisme de Neruda. Avec Mercedes Moran, il compose en outre une représentation des plus réussies d’un de ces nombreux couples d’artiste et de muse qui ont marqué l’histoire - la seconde s’avérant même, rectificatif louable du film, autant, sinon meilleure, artiste que son mari passé à la postérité.
"Neruda" se révèle autant une réflexion sur l’essence même de l’art et de la personnalité de l’écrivain qu’une chronique d’une légende en marche. C’est aussi une méditation sur la célébrité et l’engagement - deux thèmes toujours d’actualité. Seul bémol à l’ensemble : le spectateur profane ignorant tout du Poète, comme du contexte socio-politique du Chili des années 1940, restera sans doute perplexe et ne percevra pas la richesse de ce film plus dense et profond qu’il n’y paraît au premier abord.

Réalisation : Pablo Larraín. Avec Luis Gnecco, Gael Garcia Bernal, Mercedes Moran… 1h47