"Angle mort" : Nabil Ben Yadir appuie là où ça fait mal dans la société flamande
Publié le 25-01-2017 à 11h00
En 10 ans à la tête des stups d’Anvers, Jan Verbeeck a "nettoyé" les rues de la métropole flamande, avec à son actif 6 000 ans de prison ferme cumulés pour des délits liés à la drogue. Mais ce soir, le commissaire va rendre son insigne et son flingue. Demain, il deviendra officiellement candidat à la Chambre pour le parti d’extrême droite VPV, calque du Vlaams Belang. Avec une ligne répressive dure, au nom de la sécurité car "Flic un jour, flic toujours"…
Après avoir révélé ses intentions à la VRT, le "Grand Jan" a encore quelques heures à passer dans la peau du policier. Ses hommes, dont son fidèle Dries (Soufiane Chilah), jeune flic d’origine marocaine qui voit en lui un mentor, presque un père, lui ont fait un dernier cadeau : l’arrestation d’un gros trafiquant turc. Sauf que l’opération, qui se déroule à Charleroi, tourne au fiasco. Voilà Verbeek avec des morts sur les bras et un indic wallon blessé (David Murgia)…
Révélé avec "Les Barons", géniale comédie beur bruxelloise (la première du genre), Nabil Ben Yadir continue d’explorer la question de l’intégration et du racisme, également au cœur de son deuxième long métrage "La Marche", tourné en France avec une galerie de stars. On retrouve le jeune cinéaste d’origine marocaine en Flandre pour un film noir qui se veut très politique.
A travers ce personnage de héros médiatique de la lutte contre la délinquance, figure préférée d’électeurs déboussolés en mal d’autoritarisme, Nabil Ben Yadir nous montre combien tout cela n’est que construction, qu’hypocrisie. Car lorsque l’on gratte le vernis, c’est nettement moins reluisant. "Angle mort" dissèque en effet la personnalité de ce grand flic voguant en eaux troubles.
Le propos du cinéaste est intéressant mais on en vient à regretter que son film, plombé par quelques facilités scénaristiques (voire des errements), se concentre uniquement sur la trajectoire personnelle de son anti-héros, appuyant à outrance sur le thème de la filiation. Alors que l’on sent bien que le personnage qui intéresse le plus Ben Yadir, c’est le jeune Dries, qui écrit son prénom à la flamande, et non Driss, dans l’espoir d’être mieux intégré. Très complexe, déchiré entre ses origines et sa reconnaissance pour cet homme qui lui a offert une seconde chance, il fait penser aux personnages d’Adil El Arbi (qui a d’ailleurs un caméo ici) et Bilall Fallah dans "Black" et plus encore "Image". Avec la même ambiguïté, le même sentiment dérangeant de voir le "bon" immigré tenir le discours dominant : la communauté marocaine pose problème; on est traité de traître si l’on tente de s’intégrer… Est-ce parce qu’il est francophone et non flamand ? Nabil Ben Yadir prend heureusement plus de distance avec ce discours pour clore son film de façon magistrale, dans une scène glaçante sur l’avenir du pays.

Réalisation : Nabil Ben Yadir. Scénario : Nabil Ben Yadir, Laurent Brandenbourger & Michel Sabbe. Avec Peter Van Den Begin, Soufiane Chilah, Jan Decleir, Ruth Becquart, David Murgia… 1 h 45.