"Félicité" : Alain Gomis montre une Afrique qui pleure, qui rit, qui se bat pour relever la tête

Hubert Heyrendt

Alain Gomis met en scène la rage d’une mère, prête à tout pour aider son fils.

Belle et fière, Félicité (Véro Tshanda Beya) est une chanteuse de bar bourrée de talent. Dans un troquet enfumé de Kinshasa, d’une voix puissante et douce à la fois, elle pleure son blues pour les poivrots et les déshérités du coin. Mais sa vie bascule lorsqu’elle apprend que son fils a été victime d’un grave accident de moto. Elle n’a que quelques jours pour tenter de réunir la somme nécessaire pour l’opération de celui-ci. Battante comme jamais, Félicité va parcourir en tous sens les rues de Kinshasa pour tenter de sauver son fils, tout en continuant à explorer le monde de la nuit et du rêve…

Pour son quatrième film, le Franco-Sénégalais Alain Gomis a choisi de situer son récit dans la capitale de la République démocratique du Congo, une ville tentaculaire qu’il filme au plus près du réel. Il a en effet quelque chose du "Rosetta" des frères Dardenne dans cette façon de coller aux basques de cette héroïne forte, qui se bat pour conserver sa dignité et celle de son enfant.

Si "Félicité" est peuplé d’images documentaires, glanées dans les rues kinoises, on est loin du documentaire. Celles-ci viennent au contraire nourrir la fiction, lui donner plus de profondeur. Laquelle se nourrit également de scènes oniriques nocturnes, de songes africains envoûtants. Le tout porté par les chansons de Félicité et les notes du magnifique "Fratres" d’Arvo Pärt, déjà employé par Terrence Malick dans "To the Wonder". Ici jouée par l’orchestre philharmonique de Kinshasa - dont Gomis filme les répétitions, qu’il intègre au montage -, l’œuvre rythme le film, lui confère une aura tragique.

Les scènes de songe viennent également renforcer la dimension métaphorique de "Félicité". A travers le récit de cette mère-courage qui se démène corps et âme pour sauver son fils et qui finit par retrouver goût à la vie grâce à Tabu, un brave type débordant d’amour (Papi Mpaka), Alain Gomis nous en dit évidemment beaucoup sur l’état de la RDC et de l’Afrique aujourd’hui. Amputée (comme le personnage du fils), la jeune Afrique semble en effet empêchée de se relever. L’autre métaphore employée par Gomis est celle de ce frigo que tente de réparer pendant tout le film Tabu. Car il en faudra de la débrouillardise à l’Afrique pour se "réparer" l’Afrique, retrouver le sourire et le goût de l’avenir.

Ce que nous montre Alain Gomis dans "Félicité", c’est une Afrique qui pleure, une Afrique qui rit, une Afrique qui se bat pour relever la tête. Et c’est sans doute dans cet optimiste à tous crins que tient la beauté de ce film porté par deux acteurs magnifiques, Véro Tshanda Beya et Papi Mpaka. Si le second est un mécano ayant répondu à un casting ouvert, la première est une comédienne de théâtre qui trouve ici son premier rôle au cinéma. Quasiment de chaque plan, elle est épatante de vérité dans le rôle d’une mère ravagée par la douleur et l’injustice.

"Félicité" : Alain Gomis montre une Afrique qui pleure, qui rit, qui se bat pour relever la tête
©IPM

Réalisation : Alain Gomis. Scénario : Alain Gomis, avec Delphine Zingg et Olivier Loustau. Photographie : Céline Bozon. Musique : The Kasai Allstars, Arvo Pärt. Montage : Fabrice Rouaud et Alain Gomis. Avec Véro Tshanda Beya, Papi Mpaka, Gaetan Claudia… 2h03.

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