Les demoiselles de Rochefort ont eu 50 ans
- Publié le 02-10-2017 à 15h41
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Ce week-end, le Grand Rex à Paris célébrait le demi-siècle des "Demoiselles de Rochefort". Michel Legrand a joué sa "Suite orchestrale des Demoiselles". Avant la projection de la version restaurée de la comédie musicale de Jacques Demy. Évocation.
Al’issue d’un panoramique sur la place de Rochefort, la caméra de Jacques Demy s’élève pour rentrer, par une fenêtre ouverte, dans une salle de répétition de danse. "Nous sommes deux sœurs jumelles/nées sous le signe des gémeaux/Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do/Toutes deux demoiselles/Ayant eu des amants très tôt/Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do…" Cinquante ans après avoir résonné pour la première fois, "La Chanson des Jumelles" claque toujours de façon aussi magistrale sur l’écran géant du "Grand Rex" à Paris, où, samedi soir, 2700 fans - dont l’immense majorité n’étaient pas nés lors de la sortie du film - étaient venus souhaiter bon anniversaire à Catherine Deneuve (Delphine, la blonde) et Françoise Dorléac (Solange, la rousse), toujours aussi sublimes "Demoiselles de Rochefort".
Sœurs à la ville, jumelles pour Demy
Quel plaisir de revoir les deux sœurs chanter, danser, aussi complices dans leur troisième et dernier film en commun. Dans "Les demoiselles ont eu 25 ans", documentaire réalisé par Agnès Varda en 1992, deux ans après la mort de son mari Jacques Demy, Deneuve se souvenait avec émotion de ce tournage. "On était comme des adolescentes car on se retrouvait comme quand on était chez nos parents. On a retrouvé un rapport de sœurs qui s’est prolongé pendant le tournage mais qui, après, m’a laissée mélancolique car ensuite, chacune est retournée à sa propre vie…" Une vie brève pour Dorléac, qui meurt dans un accident de voiture à Nice, trois mois après la sortie du film, alors qu’elle se dépêchait pour prendre l’avion qui aurait dû l’emmener à Londres à la première de la version anglophone des "Young Girls of Rochefort"…
Son film, Demy l’a écrit pour les deux actrices, qui ont alors 23 et 24 ans. Mais il ne leur facilite pas la tâche puisqu’à Dorléac, qui a fait de la danse classique, il confie le rôle de la prof de solfège ("pour son tempérament et son côté très lyrique"), tandis que Deneuve, qui n’a jamais dansé, jouera la prof de danse. Pour les préparer à un tournage qui s’annonce éprouvant - le film sera tourné simultanément en français et en anglais -, le cinéaste les envoie trois mois à Londres, auprès du chorégraphe Norman Maen et des danseurs britanniques du film.
A l’écran, elles ne sont pas les meilleures danseuses - et ne chantent pas; seule Danielle Darrieux a interprété ses propres chansons - mais leur charme est irrésistible. Tandis qu’elles sont entourées par un casting de choix : Jacques Perrin en peintre marin à la recherche de son idéal amoureux, Michel Piccoli en vendeur d’instruments de musique, Danielle Darrieux en patronne de café. Sans oublier deux figures de la comédie musicale hollywoodienne : George Chakiris (la star de "West Side Story") et le mythique Gene Kelly, qui retrouvait la France 15 ans après le triomphe d’"Un Américain à Paris" de Minelli et qui a lui-même chorégraphié ses deux numéros dans "Les Demoiselles".
Pont entre Hollywood et la Nouvelle Vague
Si Demy choisit Kelly, c’est évidemment en hommage aux grandes comédies musicales d’Hollywood qu’il a adorées. Mais il ne renie pas pour autant son appartenance à la Nouvelle Vague, à laquelle "Les Demoiselles de Rochefort" se réfèrent sans conteste, par les thèmes évoqués, la mise en scène audacieuse, la subtilité des dialogues, l’ironie délicate. Autre marqueur de la Nouvelle Vague, le tournage en décors réels, ceux de la petite ville de Rochefort, que Demy a choisi "son architecture militaire, rigoureuse, belle", se souvenait Varda dans son documentaire. Ce choix ne fut pas toujours de tout repos pour les actrices. Comme pour la célèbre scène de "La chanson d’un jour d’été", lors de la kermesse qui s’installe sur la place Colbert (dont on avait fait repeindre tous les volets pour le film). Habillées de robes rouges à paillettes fendues - en hommage à celles de Marylin Monroe et Jane Russel dans "Les hommes préfèrent les blondes" -, Deneuve et Dorléac enchaînent les prises, sous le soleil de plomb de 1966…
Sorti le 8 mars 1967, trois ans après la Palme d’or obtenue par Demy pour "Les Parapluie de Cherbourg", "Les Demoiselles" remporteront un joli succès dans les salles françaises (avec 1,3 million d’entrées). Et deviendront rapidement un classique, qui a marqué des générations de cinéphiles. Dont un certain Damien Chazelle. Francophile, le jeune Américain révélé par "Whiplash" en 2014 présente en effet "La La Land" (lui aussi tourné en décors réels et adoptant un ton mélancolique) comme un hommage au duo Demy-Legrand... Dans la préface qu’il vient d’écrire pour le prochain livre de Legrand, le jeune cinéaste, qui a vu 23 fois "Les parapluies"!, affirme que ces deux-là ont "changé sa vie". "En caricaturant un peu, on peut dire que les comédies musicales de la MGM, c’est le triomphe du bonheur. Chez Demy, on est plus dans l’exaltation de l’amour mais aussi de la mélancolie de l’amour, des sentiments, bref de la vie, à travers des chassés-croisés amoureux. C’est cet exact équilibre que j’ai cherché dans ‘La La Land’", écrit Chazelle, qui vient de débuter le tournage de son troisième long métrage.
La version restaurée des "Demoiselles de Rochefort" est disponible en dvd, blu-ray et les plateformes de VOD. Tandis qu’un coffret de 5 cd, incluant un livre de 40 pages, a paru il y a quelques jours chez Ecoutez le cinéma (env. 25€). "Les Demoiselles de Rochefort, le coffret des 50 ans" propose non seulement la VF originale, la version anglaise mais aussi une version orchestrale et, pour la première fois, tous les play-backs d’orchestre et plein d’autres surprises pour les fans.
A 85 ans, Michel Legrand a toujours le swing
Samedi soir, l’excitation était palpable parmi les 2700 cinéphiles venus souhaiter un bon anniversaire aux "Demoiselles de Rochefort" dans la grande salle du Grand Rex à Paris. Avant de plonger avec délectation dans la version restaurée par Agnès Varda en 2011 de la comédie musicale de Jacques Demy - les applaudissements fusant à l’issue de chaque numéro -, le public a d’abord fait un accueil triomphal à Michel Legrand. Entrant sur scène d’un pas sautillant, le compositeur salue son big band de 16 musiciens, interprétant, tout cuivres dehors, l’air de la célébrissime "Chanson des Jumelles". Avant de s’installer derrière son Steinway noir…
C’est parti pour trois quarts d’heure de "La suite orchestrale des Demoiselles" que Legrand - qui préfère le terme vieilli et plus modeste de "medley" - a composé un demi-siècle après la sortie du chef-d’œuvre de son âme sœur de cinéma. En 28 ans de collaboration, Legrand a en effet écrit la musique de 9 films de Demy, dont "Les Demoiselles", "Les parapluies de Cherbourg", "Peau d’âne", "Lola"… Sur scène, le vieux monsieur s’amuse comme un gamin. Ses doigts au piano ayant quelque peu perdu de leur agilité, il ne s’offre pas de grands solos. Il préfère laisser les cuivres et les vents mener la danse. La musique a été intelligemment réorchestrée mais sa puissance évocatrice est telle qu’il est impossible de ne pas voir, en surimpression mentale, Deneuve et Dorléac esquisser un pas de danse. Sauf quand, avec malice, Legrand s’éloigne de la tonalité originale, transformant ses musiciens en percussionnistes pour introduire une version bossa nova jouissive du thème. Rien à dire, à 85 ans, Legrand swingue toujours autant. Standing ovation !
Un duo Lambert Wilson-Melody Gardot
A l’issue de ce mini-concert endiablé, Legrand a réservé une jolie surprise aux fans (dont certaines avaient été jusqu’à se déguiser en "Demoiselles"). Il fait venir sur scène le comédien Lambert Wilson et la jeune chanteuse de jazz américaine Melody Gardot, qui reprennent en duo, en français et en anglais, "La chanson de Maxence"/"You Must Believe in Spring", interprétée par Jacques Perrin dans le film.
Après une séance d’autographes très bousculée à l’entracte, Michel Legrand remonte une dernière fois sur la scène du Grand Rex pour introduire le film De Demy. "Il me manque ! Travailler avec lui a été un bonheur fou. Il était calme, posé et moi très exubérant. Le clown des deux, c’était moi !", confie le musicien. Qui se souvient de la difficulté qu’a représentée l’écriture de cette comédie musicale à la française. "Jacques est arrivé avec les textes des 17 chansons déjà écrites et toutes en alexandrins ! Je me suis dit : mais comment arriver à faire des choses différentes avec seulement des vers de 12 pieds ? Je me suis cassé la tête pendant des nuits et des jours. Mais je suis parvenu à faire quelque chose où on ne se rend pas compte que c’est en alexandrins…" Et de conclure, avant de quitter un public sous le charme : "Je serai là dans 50 ans pour fêter le siècle des Demoiselles."