Charuel : "En faisant ce film, je me suis débarrassé de la culpabilité de ne pas avoir repris la ferme familiale et d’avoir condamné les vaches"
- Publié le 18-10-2017 à 09h47
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Né en 1985, Hubert Charuel grandit dans le milieu de l’élevage laitier. Il décide de prendre une autre voie et sort diplômé de La Fémis en production en 2011. Après plusieurs courts-métrages, il réalise son premier long-métrage en 2016, "Petit Paysan". Le film a reçu le soutien de la Fondation Gan pour le cinéma en 2015 et a été sélectionné à la Semaine de la Critique en 2017. Le tournage de "Bloody Milk" (titre international) s’est déroulé dans la ferme de ses parents à Droyes, entre Reims et Nancy, à vingt kilomètres de Saint-‑Dizier.
"Petit paysan" est un succès, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Que le film n’est pas complètement raté. Mais c’est son sujet qui a, en France, suscité une couverture médiatique largement supérieure à la moyenne pour un premier film sans gros casting. C’est un monde dont on parle peu au cinéma, à travers la fiction en tout cas. Faire un film de genre était inattendu et cela a fait parler de nous.
Il sent le vécu de la ferme et du cinéma.
La ferme et le cinéma sont des mondes particuliers, aux antipodes l’un de l’autre. Inconsciemment, j’essaie de faire des ponts entre les deux pour me sentir un peu chez moi. Quand je suis chez mes parents, à la campagne, on m’appelle le Parisien. Et à Paris, je suis le gars de la campagne. Faire cohabiter le monde du cinéma et le monde rural, est quelque chose qui me constitue.
D’où vient cette idée d’introduire une tension de thriller ?
J’ai grandi à 30 km d’un cinéma, pas d’art et essai, on allait voir des films plutôt populaires. J’ai été bercé par la science-fiction, le fantastique, par Spielberg, Ridley Scott, Cameron. Le film à suspense m’a nourri. Avec Claude Le Pape, avec qui j’ai coécrit le film, on s’est dit qu’il était plus difficile de se débarrasser du cadavre d’une vache que d’un être humain. C’était parti pour un thriller.
Il y a une dimension fantastique dans votre façon de représenter la "maladie belge".
C’est une maladie fictive mais inspirée de la vache folle, de la fièvre aphteuse. Mais il existe une maladie génétique qui touche les veaux sous forme d’une hémorragie cutanée. Elle se soigne très bien, mais c’était exactement ce qui nous fallait, un symptôme visuel et symbolique d’un animal qui se vide de son sang.
Le début en forme de rêve est une absolue réussite, on est immédiatement plongé dans la tête du personnage.
J’en ai marre de films où j’ai besoin de 25 minutes d’exposition pour rentrer dedans. Avec Claude, on s’est vraiment posé la question : comment parvenir à une exposition ultra rapide. J’ai eu l’idée de ce rêve qui présente le personnage et le film. Après ce prologue, le film va être plus "documentaire" mais cela nous permet de dire au spectateur que ce film se passe aussi dans la tête du personnage. Le tournage fut un vrai défi. On a tourné la scène tout à la fin, les vaches nous connaissaient et les dresseurs ont pris sur eux car ce n’était pas prévu.
La caractéristique habituelle d’un premier film est sa part autobiographique. Le vôtre a ceci de particulier que votre part autobiographique est imaginaire.
Oui, le premier film est souvent très personnel. Le mien est cathartique aussi. En faisant ce film, je me débarrasse de la culpabilité de ne pas avoir repris la ferme familiale même si mes parents n’ont jamais exercé le moindre chantage sur moi. La culpabilité d’avoir condamné les vaches. Oui, la vie de Pierre est un fantasme de ce qu’aurait dû être ma vie si je n’avais pas décidé de faire du cinéma.
Vous seriez devenu l’ultime représentant de l’agriculture de papa.
Oui, Il y a chez Pierre, un refus, une incapacité d’évoluer. C’est caractéristique de bien des jeunes agriculteurs qui reprennent la ferme des parents. Pour survivre maintenant, il faut grossir, se lancer dans un modèle plus industriel, plus capitaliste. Le changement qui se produit, aujourd’hui, dans le monde rural ne provient pas du milieu lui-même mais de ceux qui l’abordent avec des idées nouvelles. On voit beaucoup de gens, très formés, qui abandonnent leur boulot en ville, pour faire pousser des vieilles variétés de blé par exemple. Ces néoruraux ont des idées neuves. Les consommateurs ont en marre, aussi, de bouffer de la merde. Même l’industrie agro-alimentaire va devoir prendre en compte cette tendance.
Au cours de cette mutation, la vache n’a-t-elle pas perdu son statut d’animal sympathique ? Le lait est un poison, les bouses menacent la couche d’ozone. Et puis, il y a la lame de fond végétarienne.
Mes parents étaient éleveurs et ils mangent de moins en moins de viande. Pour eux aussi, les animaux ont changé de statut. Ma mère m’a dit : "la seule raison qui me rend heureuse d’arrêter, c’est que je ne dois plus envoyer mes animaux à l’abattoir". Le regard change sur les animaux. Ça ne m’empêche pas de manger un steak. Mais je pense à la vache quand le steak est dans mon assiette. Mais c’est vrai, la consommation d’eau que réclame une bête est hallucinante. Si, nous aussi, on veut survivre, il faut arrêter cela. Mais la vache reste un animal sympathique, tellement sympathique qu’on va avoir de plus en plus mal à l’abattre pour la bouffer. Comme le cheval. Aujourd’hui, les boucheries chevalines n’existent plus. Certains éleveurs devraient l’entendre aussi.
Votre film reste néanmoins une exploitation familiale avec les parents, le grand-père, les copains.
Je ne pouvais pas imaginer le film autrement. Parce que mes courts, je les ai tournés avec ma famille, avec des non professionnels. Ils avaient de l’entraînement. Swann Arlaud et Sara Giraudeau, les acteurs principaux, ils sont venus plonger dans la famille. Ils voulaient faire partie de cet univers. Ils ont construit cette passerelle entre les deux mondes.