"Il y a un futur pour une autre façon de regarder le monde"
Publié le 13-12-2017 à 07h56 - Mis à jour le 13-12-2017 à 07h57
La cinéaste macédonienne Teona Strugar Mitevska veut croire en l’avenir de la jeunesse de son pays, seule capable de faire changer les mentalités et se détourner de la violence…
Il y a presque un an, Teona Strugar Mitevska présentait son quatrième long métrage, coproduction belge avec Entre chiens et loups, au Panorama du festival du film de Berlin. Un film dur, inspiré d’un fait divers réel. Même si la cinéaste macédonienne a vite voulu s’en détourner. “Ce film n’est pas une enquête sur ceux qui ont tué ces jeunes gens mais va plus eu cœur du problème : pourquoi ce genre de choses arrive, nous expliquait la jeune femme dans une des loges de l’immense Berlinale Palast. J’ai essayé de dépeindre l’environnement dans lequel ils ont grandi, qui les a façonnés. C’est un choix artistique. Mais c’était aussi important car en Macédoine, cette affaire est très complexe. Elle a complètement divisé la société car il y a des gens d’origine albanaise en prison pour ce crime mais certains Albanais affirment qu’ils ne sont pas coupables, qu’il s’agit d’un coup monté du gouvernement. C’est vraiment devenu une chasse aux sorcières pour savoir qui a commis ces meurtres. Mais, au fond, je pense que ce n’est pas la bonne question… La bonne question est : pourquoi c’est arrivé et comment on peut l’empêcher.”
A travers l’histoire de ces jeunes gens désœuvrés, c’est en effet l’histoire de son pays que raconte la réalisatrice. Un pays qu’elle a quitté à l’âge de 17 ans pour vivre successivement à New York, Paris, avant de poser définitivement ses bagages Bruxelles. “Il y a 20 ans, “Before the Rain” (film de Milcho Manchevski sorti en 1994, NdlR) parlait de la division de la société entre Macédoniens et Albanais, entre musulmans et chrétiens. Aujourd’hui, je fais ce film et en fait, rien n’a changé. On parle toujours des mêmes problèmes et dans les mêmes termes. En fait, on n’a pas avancé. Et c’est la nouvelle génération qui est la plus grande victime de ce passé”, se désole la réalisatrice.
Des adolescents qui, comme la jeunesse occidentale dans les années 70, affichent dans leurs chambres des posters “No Future”, comme si l’avenir n’existait pas pour ces jeunes Macédoniens. “Il y a un futur, je voudrais vraiment y croire, tempère Strugar Mitevska. Par contre, la façon de vivre actuelle est sans avenir. Un de mes acteurs m’a dit quelque chose de très beau : ‘Chacun de nous, au plus prfond, est un homme et une femme. On a toujours été élevés pour faire ressortir notre côté masculin; peut-être est-ce le moment de mettre en avant notre côté féminin.’ Il n’y a pas d’avenir pour les hommes des Balkans tels qu’ils sont aujourd’hui, pour la violence. Mais il y a un futur pour une autre manière de regarder le monde.”
Durant son casting, la cinéaste a rencontré énormément de jeunes garçons macédoniens pour dénicher les acteurs de “When The Day Had No Name”. Non professionnels mais épatants, ils donnent vie à ces jeunes hommes vivant dans une société ultra-machiste, qui façonne leur identité. “C’était très intéressant. Ils ont abordé avec moi des choses très intimes. L’homosexualité, la féminité, l’identité sexuelle, ce sont des questions très importantes. On vit dans une société qui change, même en Macédoine. Mais pas seulement cela. Je pense que montrer une personne handicapée est aussi très important. Car on fond, on est tous des êtres humains, on est tous beaux…”
Cette question de l’identité sexuelle des personnages est évidemment indissociable de la scène de viol, très dure mais très importante pour Teona Strugar Mitevska. “C’est horrible mais c’est vrai. Cela arrive souvent, confie-t-elle. Durant le casting, j’ai entendu des histoires comme celles-là. A un moment dans le film, un personnage se demande : pourquoi fait-on cela ? Qu’est-ce que cela signifie ? Je pense que c’est la bonne question. C’est le résultat de cette attitude envers les prostituées, les femmes, le pouvoir, le résultat du machisme, de l’idée de devoir conquérir… Pour moi, qui ai grandi en tant que femme dans une telle atmosphère, c’est quelque chose que je ressens tous les jours. Bien sûr que je suis en révolte. Je montre donc cela pour le dénoncer. Il n’y a rien de pire.”