Entre néo-western et polar borderline, "Sicario: la guerre des cartels" multiplie les incohérences

Alain Lorfèvre
Entre néo-western et polar borderline, "Sicario: la guerre des cartels" multiplie les incohérences

La suite du film de Denis Villeneuve multiplie surenchère et incohérences.En 2015, "Sicario" de Denis Villeneuve révélait comme scénariste Taylor Sheridan. Depuis, celui-ci a signé le script de "Comancheria" et réalisé "Wind River", les trois formant une "trilogie de la frontière", sur la violence endémique des Etats-Unis.

Le succès de ce film à petit budget a appelé une suite, centrée non plus sur l’agente du FBI qu’incarnait Emily Blunt (absente du film), mais sur la figure trouble d’Alejandro Gillick (Benicio Del Toro), ex-procureur mexicain reconverti mercenaire de la CIA pour se venger des barons de la drogue qui ont assassiné sa famille.

Dans sa première partie, le récit est tiraillé entre prolongement de l’exploration des impasses de la guerre contre les cartels et l’élargissement du spectre géopolitique à celle contre le terrorisme et à la crise migratoire, dans l’air (trumpien) du temps. Dans la deuxième, l’intrigue prolonge la variation formelle des motifs du western, avec justicier solitaire en cavale dans les grands espaces.

Le récit plante d’entrée de jeu un djihadiste au milieu de clandestins latino-américains qui tentent de traverser la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Les actes de trois autres intégristes mettent en branle au sein de l’administration américaine une opération clandestine confiée à Matt Graver (Josh Brolin). Il en appelle à son tour à Gillick pour enlever la fille d’un baron de la drogue (Isabela Moner), dans le but de susciter une guerre inter-cartels, stratégie du chaos qui, assure Graver contre toute évidence historique, "a fait ses preuves en Irak".

Ce n’est pas la seule des énormités d’un scénario qui ne tente plus de paraître réaliste, au contraire du premier "Sicario" qui entretenait cette illusion. Raccourcis et approximations sont aussi nombreux que dans un tweet présidentiel (l’occupant de la Maison-Blanche pourra même se réjouir d’une scène où un protagoniste se fait passer pour le père d’une ado, afin de mieux passer la frontière…).

Toute idéologie mise à part, "Sicario : The Day of the Soldato" pèche surtout par ses incohérences et excès (Washington jette l’éponge à la première bavure, alors que Graver a toute lattitude pour "se salir les mains"), jusqu’à une fin invraisemblable.

A la réalisation, l’Italien Stefano Sollima (les séries "Romanzo Criminale" et "Gomorra") ne jugule pas ces imperfections ni ne nuance le propos. Là où Villeneuve humanisait par exemple un ripoux, détournant le spectateur du rôle purement fonctionnel du personnage, la raison d’être narrative d’un ado au service des passeurs transparait si vite que le rebondissement à venir est éventé avec une heure d’avance.

Toute la rigueur de Del Toro et Brolin n’explique pas plus le revirement humaniste des froids professionnels qu’ils incarnent. La porte grossièrement ouverte à un troisième opus fait in fine craindre le pire pour ce qui, de néo-western ascétique, a viré au polar hollywoodien borderline.

Réalisation : Stefano Sollima. Avec Benicio Del Toro, Josh Brolin, Isabela Moner,… 2h03

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