Inoubliable dans le film choc "Dogman", Marcello Fonte a connu un parcours improbable
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- Publié le 31-07-2018 à 15h06
- Mis à jour le 31-07-2018 à 15h41
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En mai dernier à Cannes, l’acteur italien Marcello Fonte remportait le prix d’interprétation dans l’enthousiasme général. Il est inoubliable dans “Dogman” de Matteo Garrone. Son parcours est si improbable que si on devait le raconter au cinéma, on n’y croirait pas. Un vrai roman.
Bruxelles, juin, 10 h du matin, un soleil généreux égaie la place Rouppe. Sur un banc, un petit bonhomme dans une veste de training bleue allume une clope. Il regarde la fontaine sans la voir. Il ressemble à Marcello Fonte.
Ses pensées voyagent-elles, le ramènent-elles à Cannes, un samedi de folie, quand, voici quelques semaines, le jury du festival décernait à un acteur totalement inconnu le prix d’interprétation.
L’homme se lève. Dans le dos, on lit "Dogman", c’est donc bien lui. Il rejoint l’hôtel Pillow où le BRiFF, le nouveau festival du film de Bruxelles, loge ses invités et organise les entretiens.
Let’s go pour un "Pillow Talk" avec le toiletteur pour chien du dernier film de Matteo Garrone. Pour Marcello Fonte, c’est la première visite en Belgique. "Un long voyage. Cela m’a pris 20 ans pour arriver jusqu’ici. A pied, je serais arrivé plus vite." éclate-t-il d’un rire généreux.
"Kurriculum"
Jusqu’à Bruxelles, la route fut longue et improbable depuis la banlieue de Reggio Calabria, à la pointe de la botte italienne. C’est là que Marcello Fonte grandit dans une famille très modeste.
Rêvait-il de devenir acteur quand il était enfant ? "Je crois qu’on est acteur sans le savoir. Mon père était un acteur mais il ne le savait pas et il a été paysan toute sa vie. Jamais, il n’a jamais pensé à jouer sur une scène. Mais en famille ou avec ses amis, dès qu’il avait bu, juste un tout petit peu, c’était le show. Il était vraiment très drôle, très doué pour imiter les gens. Il avait quelque chose de Buster Keaton. C’est amusant car Matteo (NdlR Garrone) aime dire que je ressemble à Buster Keaton.
A 18 ans, ma mère m’a mis dehors. Je suis parti à Rome, je voulais être musicien, je jouais de la caisse claire et je voulais être acteur aussi. Les premières années ne furent pas très difficiles, car mon frère habitait Rome. J’étais logé et nourri chez lui. Après quatre ans, il m’a dit qu’il n’y avait pas que l’art dans la vie et que je devais penser à travailler, que je devais écrire mon Curriculum Vitae. Comme je ne savais pas ce que c’était, il m’a expliqué que je devais noter les choses les plus importantes que j’avais faites.
Mais pour moi, tout est important, alors j’ai écrit pendant trois jours. Les gens qui ont lu mon Kurriculum - je l’avais écrit avec un K - l’ont trouvé drôle. C’est comme cela que j’ai découvert que j’aimais bien écrire. Mon autobiographie "Sous les étoiles" sera publiée en novembre aux éditions Einaudi."
Sous les étoiles ! Un titre poétique pour une réalité qui l’est beaucoup moins, celle des squats romains et du boulot sur les plateaux qu’il décroche au culot. Qui pouvait imaginer dans ce centre culturel romain où il s’est imposé comme l’homme à tout faire contre un logement dans d’anciennes toilettes qu’il a transformées en micro studio; qui pouvait imaginer qu’un jour ce petit Marcello se tiendrait sur l’immense scène du Grand Théâtre Lumière, en position de meilleur acteur selon Cate Blanchett, applaudi à tout rompre par tout le parterre du cinéma mondial ?
On n’a pas vingt ans pour raconter ce parcours et, de toute façon, personne n’y croirait. Vous voulez savoir comment il est devenu la tête d’affiche du dernier film du prestigieux réalisateur de "Gomorra" ? Au cinéma, on n’y croirait pas.
A deux jours près
"J’étais tout à la fois le costumier, l’éclairagiste, l’accessoiriste de la troupe du Fort Apache Cinema Teatro qui fait jouer d’anciens détenus et qui répète au centre culturel dont je suis un peu le gardien. Un jour, un membre de la troupe est mort subitement. Comme j’assiste aux répétitions, aux représentations, je connaissais son rôle. J’ai repris son personnage au pied levé. Je le joue toujours avec ses chaussures, comme cela, il y a un peu de lui en moi et il fait toujours partie du spectacle. Deux jours plus tard, quelqu’un du casting de "Dogman" est venu voir la pièce. Il a choisi deux personnes dont moi".
Il s’en est donc fallu, d’un jour ou deux, pour que Marcello n’arrive jamais à Cannes, ni à Bruxelles. Et voilà que celui qui s’est fait une spécialité de tout faire partout où il passe, s’initie à ce qu’il n’a pas encore fait : toiletteur canin.
"J’ai passé trois mois chez Marco. D’abord, je l’ai regardé faire, puis j’ai commencé à laver des chiens, et puis à couper les poils, les griffes. Je me levais tôt chaque matin et j’ai appris le métier. Je n’ai jamais eu peur, sauf une fois. J’ai été mordu à la cuisse par un berger allemand. J’ai dépassé une limite et le chien m’a mordu. Ce n’était pas de sa faute mais de la mienne.
Je me sens à l’aise avec les chiens, j’en ai un, Sacha, et beaucoup de chats. Pinuca est ma chatte préférée. Elle m’a accompagné partout. Elle a tout vécu avec moi, les castings, les squats. Aujourd’hui, je voyage beaucoup, c’est trop stressant pour elle, alors je l’ai confiée à ma maman. Je suis sûr qu’en ce moment, elle est allongée sur le toit de la maison en train de regarder le paysage. Je connais sa place préférée."
Je rêvais comme le personnage
Ça lui donne chaud de penser à la Calabre, Marcello retire son sweet et tant pis si le polo remonte. Avec son naturel désarmant, ses mains si bavardes, son sourire qui mange la moitié de son visage; il dégage ce mélange d’humanité et de poésie digne de Totò qui imprègne son personnage.
Mais cela ne suffit pas pour une interprétation aussi mémorable. Matteo Garrone a probablement voulu mettre toutes les chances de son côté en tournant dans la continuité. "Matteo n’est préoccupé que par le bien du film. En tournant dans l’ordre, on vit vraiment le parcours du personnage, du début jusqu’à la fin. Quand on tourne une scène, on a la conscience mais aussi la fatigue de la scène précédente. En travaillant en continuité, j’étais tellement immergé dans le film que je rêvais comme le personnage. Les autres personnages du film sont rentrés dans mes rêves. Je suis entré dans une autre dimension, j’étais devenu quelqu’un d’autre. En travaillant comme cela, certaines caractéristiques du personnage sont devenues superflues. Plutôt que d’ajouter des choses, on a pu en enlever et il est devenu plus épuré".
Si la scène finale est à couper le souffle, on peut en préférer d’autres comme celle du surgélateur qui a d’ailleurs valu la Palme Dog au chihuahua.
"Ma scène préférée ?" réfléchit un temps Marcello. "Celles avec ma fille, car elle est la lumière du film. Quand elle est là, le soleil est là. Pour moi, ce fut la plus belle expérience, celle de me sentir père. C’était la première fois. Alida est une fille extraordinaire, elle se comportait comme si elle était ma fille. Vraiment, c’était un sentiment extraordinaire".
Il pleuvait des applaudissements
Marcello Fonte est tellement poignant dans son rôle d’un petit homme très apprécié par les habitants de son quartier déglingué mais harcelé par une brute cocaïnée, tellement époustouflant que chacun, sur la Croisette, le voyait repartir avec la palme du meilleur acteur. Pourtant, quand Cate Blanchett, la présidente du jury, membre du jury, a prononcé son nom, il avait l’air pétrifié à l’idée de prendre son prix que lui offrait Khadja Nin.
"J’étais très impressionné et j’ai d’abord cru qu’il y avait une erreur, qu’on s’était trompé. J’ai eu un bref moment de panique, puis je me suis rendu compte que les organisateurs aussi étaient paniqués, qu’ils se demandaient si j’allais venir le prendre. Finalement, cela m’a permis de profiter un peu longtemps de ce moment". Un moment dont on se souviendra à cause de ses quelques mots de remerciement. "Petit, quand j’étais chez moi et qu’il pleuvait, je fermais les yeux et j’avais l’impression d’entendre des applaudissements".
Ils étaient pourtant bien réels ceux du Grand Théâtre Lumière et ils ont changé sa vie. "Maintenant, quand je voyage, on ne me fait plus rien payer, on m’offre tout. Les gens sont très gentils avec moi, j’ai l’impression que certains se sont reconnus dans ce personnage.
Particulièrement, les jeunes qui ont peur du mot travail. C’est un mot compliqué aujourd’hui. Il y a longtemps, il suffisait d’avoir fait ses primaires pour avoir du travail, après il fallait avoir fait le collège. Maintenant, on sort de l’université et on ne trouve pas de travail. Je pense que cela donne à certains du courage de voir quelqu’un comme moi y arriver alors que je n’ai pas fait d’études. L’important n’est pas toujours le CV mais la passion qu’on met dans ce qu’on fait."
La passion, la générosité, l’humanité. La route de Marcello Fonte ne fait que commencer.