"Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc", fascinant... et agaçant

"Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc", fascinant... et agaçant

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en mai 2017 déjà, "Jeannette" avait divisé la critique, accueilli par des dithyrambes par les uns, ridiculisé par les autres. Ce qui explique sans doute son arrivée tardive sur les écrans bruxellois (*). Il faut dire que dans son dernier opus, Bruno Dumont pousse plus loin encore le curseur de la radicalité de son cinéma, pour nous raconter, sous forme de comédie musicale, l’enfance de Jeanne d’Arc à Domrémy en 1425, alors que la jeune bergère de 8 ans se désole déjà de voir la France envahie par les Anglais et plus encore du fait que le bon Dieu reste insensible à ses supplications. Une évocation totalement folle emmenée par une série de non professionnels filmés dans les dunes du Pas-de-Calais…

Plus que jamais - plus encore que dans sa série "P’tit Quinquin" et dans "Ma Loutte" -, le cinéaste nordiste joue le jeu de l’artificialité. Temporalité (même lumière en été, au printemps ou en hiver), géographie (les dunes du Nord et un petit ruisseau chargés de figurer la Lorraine et la Meuse), jeu de comédiens très amateurs, chorégraphies approximatives (pourtant signées Philippe Decouflé), musique duelle de Gautier Serre, alias Igorrr (oscillant entre baroque divin et metal hurlant diabolique)… Tout est ici affaire de conventions. Non pas celles du théâtre, plutôt celles de l’art sacré, évidemment dynamitées par une approche cinématographique moderniste. Où tout est pensé pour créer de violents effets de contrastes esthétiques, en écho à la dualité que Dumont met en place chez son héroïne. Laquelle, dans sa danse notamment, oscille sans cesse entre piété et attitude diabolique.

Du "Mystère de la charité de Jeanne d’Arc" de Charles Péguy dont s’inspire Dumont, il ne reste ici plus grand-chose, sinon la réflexion sur la foi et la ferveur, omniprésentes dans la filmographie du réalisateur des "Démons de Jésus" et de "L’Humanité"… Subsiste surtout l’épure d’un cinéma a nul autre pareil, celui d’un auteur misanthrope et qui veut pourtant croire en l’Homme.

Si la démarche de Dumont reste passionnante et sans doute sincère, elle n’en est pas moins diablement agaçante. Son cinéma est cette fois tellement formalisé qu’il en devient - malgré quelques fulgurances - obscur, inaccessible au plus grand nombre. Pour ne pas dire tout simplement ridicule, tant il mise sur la fausseté et l’artifice pour aborder pourtant ce qu’il y a de plus profond, le mystère de la foi…

Scénario & réalisation : Bruno Dumont. Photographie : Guillaume Deffontaines. Musique : Igorrr. Chorégraphie : Philippe Decouflé. Montage : Basile Belkhiri et Bruno Dumont. Avec Lise Leplat Prudhomme, Jeanne Voisin, Lucile Gauthier, Victoria Lefebvre… 1 h 45.

(*) Le film sort au cinéma Galeries à Bruxelles.

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