Comment Alex Lutz a signé l'une des meilleures surprises françaises de l’année (VIDEO)
Il s'agit d'un faux documentaire sur un chanteur ringardisé, Guy.
Publié le 28-08-2018 à 09h28 - Mis à jour le 29-08-2018 à 14h06
Il s'agit d'un faux documentaire sur un chanteur ringardisé, Guy. Un caméléon. Qui se fond dans son environnement. Assis tranquillement à une table en train de siroter un café, Alex Lutz passe totalement inaperçu. Et pourtant, ça grouille de journalistes autour de lui. Sans ses déguisements de Catherine (la complice de Liliane pour disséquer la presse people), de Fantasio ou de Robert de Montmirail, difficile de le reconnaître. Et ce n’est pas Guy, sa deuxième (et formidable) réalisation qui va améliorer la situation. Dans ce faux documentaire, il campe en effet un vieux chanteur désormais oublié des radios mais dont les chansons d’amour font toujours frissonner les admiratrices tout aussi ridées que lui.
"Le cinéma, c’est un travail de masques, de marionnettes, comme au théâtre, mais il faut y mettre de soi, sa sincérité, ses errements, de ses questions, ses doutes, explique-t-il. P our moi, un acteur a un truc très particulier, un rapport un peu douloureux ou inquiet au monde, qui correspond à un manque dans le corps, qu’on veut remplir par la création de nos œuvres avec une sensation d’impuissance. C’est vraiment tout et son contraire. Et puis, avec ou sans talent, être artiste, c’est surtout un état d’âme. Bon, je ne peux en parler qu’en mon nom. Les autres vont peut-être me dire que je n’en sais rien et que je suis con (rire) ."
Le faux documentaire rend la réflexion encore plus troublante…
"Le principe du documentaire autorise une grande liberté artistique et thématique. S’il est bien fait, c’est presque comme l’hyper réalisme en peinture. On assiste à un kaléidoscope de ce que peut être la vie. Elle n’est jamais monoémotionnelle, on ne peut pas juste se limiter au rire ou à la tristesse. Il y a des errements, de l’ennui, de la colère, du rire, de l’appétit, des illusions perdues, des espoirs qui se reprennent."
Quelles étaient vos références pour Guy ?
"Vous pouvez penser tout ce que vous voulez, car nous avons tous un Guy Jamet en nous. Même les plus réfractaires à la chanson populaire l’ont quelque part. Honnêtement, je ne pourrais pas vous donner de référence, même vocalement. J’ai forcément dû inconsciemment penser à plein de gens, mais moi, j’ai écrit ce film comme un roman d’apprentissage. Il se trouve qu’il a une forme documentaire, mais ce n’est pas le plus important. C’est une ode à la vie, à notre vie en général et à la sienne en particulier. Ce n’est pas violonisant. C’est une rencontre avec une personne, sous une forme particulière, avec, j’espère, l’invention comme dans un bon roman. En ce moment, je trouve qu’on traverse une crise de l’invention alors, j’ai tout fait pour inventer encore et encore. Bien sûr, c’est référencé, puisque c’est situé dans notre époque du divertissement et des médias, mais je ne peux pas dire si tel moment correspond plutôt à tel ou tel artiste, car ce n’est pas vrai."
D’où vous vient cette passion pour les déguisements ?
"Je suis très relou sur la véracité des cheveux. Je peux faire changer une perruque 700 fois. Même si c’est trop, je veux qu’on y croie. Y compris pour les pochettes des disques, qu’on a toutes faites nous-mêmes. J’ai failli perdre tous mes cheveux à force de les décolorer, mais ce blanc est très évocateur. Guy est obnubilé par ses cheveux. Parce qu’il a beaucoup thésaurisé là-dessus pour séduire les femmes. Les artistes, par moments, peuvent être complètement cons. Pour les scopitones, j’ai travaillé avec Arthur Sanigou, qui réalise les parodies que l’on fait pour Catherine et Liliane. Il sait s’amuser avec l’image et possède un talent fou. C’est particulier car ce n’est pas du clip, mais des mises en scènes télévisuelles que la France a été capable de produire jusqu’à plus soif, que l’Allemagne a reproduit en pire, et il y a eu des belles choses, parfois très audacieuses. Au moins, il y avait l’envie de s’amuser et de mettre en scène ce drôle de fenestron qui s’installait dans les salons. On a beaucoup travaillé sur le grain. Entre autres…"
Les risques payants d’Alex Lutz
À travers Guy, Alex Lutz règle des comptes avec une société où tout doit être assuré, où on n’ose plus prendre de risques.
"C’est une scène qui me bouleverse, explique-t-il. Cette société n’est pas libre. On a tous les outils pour l’être, et on se crée une espèce d’autodictature, un contrôle absolu de tout qui fait que le sens et le goût du risque disparaissent. Et cela ne résout rien. C’est très curieux. Il y a un très beau passage de Marguerite Duras sur l’an 2000, dans lequel elle se demande ce qu’il sera. Elle écrit que tout sera bouché, investi, et ce n’est pas loin du cauchemar. Elle y dit qu’il y aura plus de réponses que de questions, parce que les gens ont besoin de réponses. C’est magnifique. Et elle ajoute qu’il y aura une envie de lire, qui viendra d’une indiscipline. C’est incroyablement beau. Je ne comprends pas pourquoi on doit apporter des réponses à tout, tous les jours. C’est pour ça que j’adore quand il dit qu’il y a une marche et qu’il demande s’il peut ou pas la monter en fonction du contrat d’assurance. Quand son agent lui dit qu’elle a peur pour lui, il lui répond que non, elle a peur pour elle. On a tous peur pour nous, et cela devient une peur collective."