Pierre Schoeller: "Avec Louis XVI, on ne tue pas un innocent mais un traître"
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/5fe4e627-8f76-40cd-8b84-1471638c0a7a.png)
Publié le 26-09-2018 à 11h45 - Mis à jour le 26-09-2018 à 14h15
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/LB7CSVPK2RF7XBX5I3DMAMA4JM.jpg)
"Un peuple et son roi", troisième film de Pierre Schoeller, sort en salles ce mercredi. Après "L’Exercice de l’État", il continue son exploration des mécanismes du pouvoir. En revenant cette fois, de façon très politique, aux origines de la République française : la Révolution de 1789.
Il y a trois semaines, Pierre Schoeller, Noémie Lvovsky, Céline Salette et Louis Garrel étaient les invités de la 75e Mostra de Venise, où ils présentaient, hors Compétition, Un peuple et son roi (1). En salles ce mercredi, ce grand film en costumes revient sur les premières années de la Révolution française, de la chute de la Bastille, le 14 juillet 1789, à la décapitation de Louis XVI, le 21 janvier 1793. Où l’on croise autant de femmes et d’hommes du peuple (dont un verrier joué par Olivier Gourmet) que de grandes figures, comme Robespierre, Marat ou Saint-Just. Comme dans son film précédent L’Exercice de l’État, déjà avec Gourmet en 2011, ce qui intéresse ici le cinéaste, c’est de montrer la politique en action, dans un moment de grande effervescence politique…Était-il important de revenir aujourd’hui sur la Révolution française, au moment, par exemple, où Macron passe pour un Jupiter ou un nouveau Roi Soleil ?
Quand j’ai pensé au film, Macron était encore un ministre… J’ai fait ce film parce que L’Exercice de l’État, un film au cœur du pouvoir d’aujourd’hui, donnait une vision très dure, très féroce mais lucide du politique. Je voulais revenir à la fondation de notre imaginaire, de notre sensibilité. Je ne suis pas allé chercher la Révolution en pensant à aujourd’hui, en me disant qu’il faudrait une révolution. Je me suis dit : "C’est en nous. C’est loin, mais c’est nous qui l’avons faite." J’avais l’impression que ça s’était un peu perdu, même s’il y a en même temps des choses très fortes de la Révolution qui continuent à vivre. En me replongeant dans le passé, j’ai été très surpris, car j’avais une image de la Révolution comme un moment de violence, de radicalité extrême, de chaos. Alors que les premières années sont un moment d’invention et de conquêtes qui continuent d’être vivantes. La République, cette notion d’égalité des droits ou de liberté d’opinion naissent à ce moment-là. Et c’est un moment historique, car cela a été arraché. Il faut oublier les grandes discussions politiques sur la Révolution et prendre le temps d’aller dans les archives, de lire un discours de Robespierre, le compte-rendu d’une journée de débat à l’Assemblée ou les chansons…
Depuis quelques années, l’historiographie a beaucoup changé sur la Révolution. Vous en faites une lecture très progressiste, presque à contre-courant aujourd’hui…
L’histoire officielle de la Révolution française, qui est enseignée dans les écoles, c’est celle d’une révolution bourgeoise, faite par des hommes, où le peuple n’a pas un rôle politique adulte. C’est une vision, pas exactement réactionnaire, mais assez conservatrice. Si on compare les trois premières années de la Révolution et notre vie politique aujourd’hui, on en est très loin. Par exemple, dans la Constitution, il y avait le droit d’interpeller l’Assemblée. Aujourd’hui, à l’Assemblée, quand vous êtes là-haut et que vous parlez, vous êtes évacué immédiatement. Ce qui a aussi changé d’un point de vue historiographique, c’est qu’on est dans un moment où des historiens très importants de la Révolution française, américains, français, anglais, italiens, travaillent sur la notion d’émotion politique. Ils tentent de relire le cours des choses par des mouvements émotionnels et non plus par des débats idéologiques post-communisme…
Vous montrez ici un peuple qui se jette corps et âme dans l’aventure politique. Cela manque aujourd’hui ?
Le temps d’une révolution est un temps de questionnement profond sur la vie et où l’on prend des risques. Pendant les révolutions arabes, j’étais frappé combien, sur la place Tahrir, des hommes très simples mettaient leur vie en jeu pour une chose commune, pour plus d’égalité. Mais ce qui m’intéresse dans le film, c’est le voyage dans le temps, pas aujourd’hui. Si, demain, il y a une révolution, ce sera complètement différent et personne ne sait ce qui va se passer. Même si on sent qu’il va se passer quelque chose autour de l’écologie et de l’Europe…
Le film se clôture sur la décapitation de Louis XVI, une scène dure…
Oui mais ce n’est pas un assassinat, c’est une exécution. On ne tue pas un innocent mais un traître, un coupable, qui subit sa peine. Après, j’ai de l’empathie pour le roi, parce qu’il reste un homme. Louis XVI ne s’oppose pas à sa mort, mais il veut mourir d’une certaine manière. Il veut laisser le souvenir d’un roi innocent devant son peuple. Mais il n’est pas innocent ; on a les preuves de sa culpabilité. Il y a des lettres de trahison de sa main et de celle de Marie-Antoinette. Le symbole est fort, car c’est le sommet. Mais, quand il va à l’échafaud, le roi est déjà déchu. Ils ne tuent pas le roi pour faire la République. Ils emprisonnent le roi, font la république puis ils discutent de son sort. Une majorité le déclare coupable et une plus petite majorité décide qu’on va l’exécuter maintenant. Mais ils ont très peur de l’exécuter, car ils craignent les réactions des autres pays en Europe. Et c’est ce qui s’est passé…
Ce qui est neuf, c’est que vous ne présentez pas Louis XVI comme le roi horloger, passif…
C’est un homme de pouvoir, lucide et à la fois dépassé par les événements. C’est son côté tragique. Il résiste profondément aux changements du temps parce qu’il ne les comprend pas. Il ne comprend pas que le Tiers a besoin d’exister politiquement. À l’époque, on ponctionnait énormément le peuple, qui travaillait et faisait la richesse du pays, mais pas le clergé, ni les nobles, alors qu’ils avaient beaucoup plus de richesses. C’est intéressant que les révolutions naissent sur l’impôt…