"Girl": Comment opère la mise en scène pour toucher le spectateur?
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- Publié le 17-10-2018 à 15h43
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Girl est un film qui touche intimement, parfois même transforme le spectateur. Ce tour de force tient à l’efficacité de la mise en scène. Comment le cinéaste l’a-t-il construite ? Quels moyens a-t-il utilisés pour communiquer au plus profond du spectateur le combat intérieur d’une adolescente qui veut expulser l’alien, le garçon qui habite son corps. Lukas Dhont a accepté de lever le capot et d’expliquer en détail le fonctionnement du moteur de son film dont l’élément fondamental est la danse.
1 La danse et le travail du corps
"Lara déteste son corps, mais elle choisit un monde où elle va devoir travailler avec son corps et être confrontée à son reflet en permanence. J’avais envie de montrer l’effet de la danse sur le corps. Je ne voulais pas me perdre dans le spectacle, mais montrer un film qui parle de cette fatigue, de cette manipulation. Avec le chorégraphe, Sidi Larbi Cherkaoui, et le chef op, Frank van den Eeden, nous avons essayé de trouver le moyen de faire de Frank un danseur entre les danseurs, de suivre Victor (Polster, l’interprète de Lara, NdlR) pour capter l’effet de la chorégraphie sur lui. Victor est dans la performance mais nous, nous savons qu’en lui, quelque chose de douloureux est en train de se passer. Et on a besoin d’un comédien qui joue cela, qui joue cela avec son corps, car il est aussi un danseur et un danseur communique avec son corps. Ce qu’on a vu très vite durant la préparation, c’est que le visage de Victor était très expressif mais jamais trop. Il lutte pour que cela ne se voit pas. Et son visage dégage quelque chose de magnétique. Le chef op était littéralement attiré par ce visage. Au départ, notre idée était de filmer le corps dans sa totalité, mais on s’est rendu compte que ces plans très proches de la peau, que cette intimité presqu’agressive, étaient plus intéressants. À côté, je voulais aussi une dimension documentaire, très sobre, pas flamboyante."
2 La danse comme forme absolue de la féminité
"La ballerine est le symbole de la féminité pour Lara. Et le symbole de la ballerine, ce sont les pointes. Les chorégraphies devaient être sur pointes."
3 La danse comme vertige
"Pendant l’écriture avec Angelo Tijssens, notre référence était Icare et son père. Icare veut voler de plus en plus haut et il se brûle. C’est l’autre raison de la danse sur pointes. Le danger plane d’aller trop vite et de tomber. À la symbolique s’ajoutait la réalité. Victor n’avait jamais dansé sur pointes et il s’est entraîné trois mois pour y arriver. Le danger de le voir chuter était bien réel. La sensation de déséquilibre est omniprésente et démultipliée par la proximité de la caméra."
4 Un cadre très serré
"J’ai découvert très tôt que la plus grande force du film, c’était le visage de Victor. Ça me convenait très bien d’être très proche de lui, d’entretenir ce sentiment d’enfermement. En restant focalisé sur lui, on aide le spectateur à entrer dans sa peau."
5 Vitres, miroirs, écrans de smartphone
"Ce qui est très important dans la vie des jeunes aujourd’hui, c’est l’image de soi-même. Pour Lara, comme pour nous tous, ce reflet est un point de confit. La relation complexe avec le corps ne concerne pas que les transgenres. Souvent, le corps ne reflète pas l’image de ce qu’on veut être physiquement. Ce sujet intéresse tout le monde, il est universel. Ce qui m’attirait, dans l’histoire authentique de Nora, c’est son aversion pour son propre corps, sa relation dangereuse à son corps."
6 Un ange Victor Polster
"Quand j’ai vu Victor pour la première fois, il avait 14 ans et c’était un ange. Pour moi, il n’était ni garçon ni fille. Il s’identifie comme un garçon, mais je voyais qu’il acceptait sa féminité. Lara est un rôle de composition pour lequel il s’est transformé. Il a travaillé sa voix pendant trois mois, supprimé les basses pour la rendre plus féminine. Il a créé un tic avec ses propres cheveux qu’il a laissé pousser. Il a incarné un personnage, mais il en était proche car il a beaucoup de féminité, d’élégance, de radicalité, de discipline, de réserve. Il avait beaucoup du rôle. Quand on travaille avec quelqu’un qui n’a jamais joué, cette proximité est nécessaire, car la technique n’existe pas pour compenser."
7 Le métro et les trois niveaux
"Je voulais montrer Lara dans le monde, avec les autres. Le métro symbolise cela, naturellement. On y a tourné des scènes où elle est confrontée au regard des autres, mais où elle regarde les autres, aussi. J’aimais beaucoup ces scènes, mais elles n’ont pas survécu au montage. Pour moi, le scénario se déroulait à trois étages, l’étage le plus haut, c’est celui de l’appartement. Le plus bas, c’est le métro. Et l’étage intermédiaire, c’est l’école."