John C. Reilly : "Beaucoup d’entre nous avons une idée de l’Ouest basée sur les westerns plutôt que sur l’Histoire"
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Publié le 24-10-2018 à 10h47 - Mis à jour le 24-10-2018 à 13h06
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L’acteur américain est également producteur du film de Jacques Audiard, à qui il a proposé d’adapter le roman d’apprentissage du Canadien Patrick deWitt. En septembre dernier, Jacques Audiard et John C. Reilly entamaient à la 75e Mostra de Venise une longue tournée promotionnelle pour The Sisters Brothers, qui passera ensuite par Deauville, Toronto, Saint-Sébastien ou encore par Gand il y a quelques jours.
A Venise, où le film a décroché le Grand prix du jury, on rencontrait un John C. Reilly très élégant dans ses vêtements de cow-boy moderne, ravi de parler d’un film dans lequel il tient le premier rôle, mais qu’il a également coproduit avec sa femme Alison Dickey. Tous deux avaient rencontré Patrick deWitt à l’occasion de Terri d’Azazel Jacobs en 2011, dont l’auteur canadien avait coécrit le scénario. Ayant acheté les droits de The Brothers Sisters avant même sa publication, le couple a proposé à Jacques Audiard de le réaliser. "L’idée de faire un western à l’ancienne nous paraissait ennuyeuse. On voulait quelqu’un qui ne ploie pas sous la nostalgie américaine. Beaucoup d’entre nous avons une idée de l’Ouest basée sur les westerns plutôt que sur l’Histoire. On savait qu’il fallait oublier cela pour raconter une histoire qui ait du sens pour des spectateurs contemporains, explique l’acteur. Une des choses qui a plu à Jacques dans le livre, c’est que l’Ouest américain était un vrai melting-pot. Dans les années 1850, sur la Côte Ouest, il y avait des gens de partout : les Chinois venus avec les chemins de fer, tous ces prospecteurs rendus fous par la Ruée vers l’or… Choisir un réalisateur français nous semblait donc un choix judicieux…"
Ce sentiment a encore été renforcé sur le tournage, par la grande diversité de l’équipe technique, où se mêlaient Français, Belges, Italiens, Roumains, Espagnols… Une expérience enrichissante, qui a permis à John C. Reilly de mieux comprendre le caractère français. "Comme Américains, notre première impression des Français, c’est qu’ils sont snobs, qu’ils se croient meilleurs, qu’ils connaissent mieux la bouffe et le vin. Merde ! On les a sauvés des Allemands ! Mais ce que j’ai compris, après avoir travaillé avec des Français pendant tant de mois au milieu de nulle part, c’est qu’ils ont raison… Pour eux, prendre le temps de s’asseoir pour manger devant un verre de vin est un moment sacré. A la base de l’identité française, il y a l’humanisme. Ce n’est pas être snob, mais respecter le moment du repas car c’est important. C’est une façon de traiter les êtres humains avec dignité et respect. C’est là que j’ai compris que ce n’était pas juste des esthètes. Je le voyais tous les matins sur le plateau, quand je débarquais en demandant à un Français : ‘Eh t’as vu mes bottes ?’ - ‘Excuse-moi ? Bonjour !’ - ‘Oh oui, bonjour. (en français dans le texte) As-tu vu mes bottes ?’ Ce respect est important car c’est lié à cette idée que chacun de nous a droit à la dignité. C’est peut-être un idéal mais c’est un bon idéal."
Dans The Sisters Brothers, Reilly incarne Eli Sisters, un tueur à gages débonnaire, qui songe sérieusement à raccrocher les pistolets. Un rôle qui convient évidemment à merveille à cet acteur chaleureux et bienveillant. "En lisant le livre, Eli m’a sauté aux yeux. C’est le narrateur ; il y a beaucoup de ses monologues intérieurs. Je n’avais jamais vu un western où je comprenais ce que les cow-boys ressentaient. Quand on regarde Clint Eastwood et les autres, ils sont toujours mystérieux ; on se demande ce qu’ils pensent, ce qu’ils vont faire… Ici, on comprend ce que cela signifie d’être surchargé, ce que l’on ressent à gagner sa vie en tuant des gens. On cherchait un réalisateur capable de s’investir dans ce livre pour en faire sa propre histoire. Il fallait trouver quelqu’un qui avait aimé le livre de la même façon que nous, pour les mêmes raisons, au lieu d’engager quelqu’un qui ferait ce qu’on lui demande…"
Un fan de western
S’il a porté ce projet avec tant de conviction, c’est aussi que John C. Reilly est "un fan de westerns". "Si on aime le cinéma, on aime le western. Quand on est un petit garçon, on veut être astronaute, soldat, pompier ou cow-boy. Ce qu’offre le western, c’est une épure : il n’y a pas de gras, la narration doit être nette et précise, estime l’acteur. […] Les westerns sont populaires parce qu’on a tous envie de savoir ce à quoi ressemblait le monde avant l’arrivée de l’homme. Le western est une représentation de ce moment pionnier, quand il y avait juste un paysage, dans lequel l’homme est entré."
Sauf qu’en l’occurrence, il y avait des hommes et des femmes, qui ont été massacrés. Les Indiens sont d’ailleurs présents dans le livre, mais pas dans le film. "L’entrée dans ce moment de l’Histoire s’est faite en effet par le meurtre, le génocide, l’appât du gain, l’expansionnisme et le colonialisme. Mais notre histoire débute à ce moment où les gens sont en train de se dire qu’on ne peut pas continuer dans cette direction. C’est dans les années 1850 qu’est inventée la cartouche, qu’on n’utilise pas dans le film. Quand elle est apparue, tuer est devenu accessible à tous ; il suffisait d’appuyer sur la gâchette, plus besoin de savoir charger un fusil. Cela a coïncidé à un moment dans la civilisation où les gens se sont dit : on doit agir autrement. Il y a une différence entre l’esprit des pionniers et l’identité agricole domestique. Quand les gens ont commencé à bâtir des maisons, des fermes, des villes, ils se sont dit qu’il fallait arrêter de s’entre-tuer… Jacques était très intéressé par cette idée de construction d’une société durable."
Dans The Sisters Brothers, Audiard pose en effet la question de l’idéalisme face au pouvoir de l’argent et des armes. Une question très actuelle, selon Reilly : "On vit en ce moment une période de grand tourment. On doit tous se poser la question du monde dans lequel on veut vivre. Pas seulement en termes de politique et de violence, mais aussi d’environnement. On ne peut pas continuer à déverser du plastique dans les océans et s’attendre à ce qu’ils restent sains. On doit changer !"
"La quintessence même de l’américanitude"
Pour John C. Reilly, Audiard a parfaitement su capter l’identité américaine à travers ces deux personnages. "Joaquin et moi représentons dans ce film la quintessence même de l’américanitude. On se promène en disant : ‘On n’a peut-être pas toujours raison, mais on n’a pas toujours tort non plus.’ L’ambition et l’optimisme sont les meilleures qualités du caractère américain. ‘On n’y arrivera peut-être pas mais, putain, il faut essayer !’ Cet enthousiasme peut vous apporter de grandes choses mais aussi pas mal de soucis. Ce n’est pas bien pour planifier une guerre par exemple", sourit l’acteur.
Pour qui le western a justement forgé en partie le caractère américain. "Malgré la liquidation des Amérindiens, il y a toujours cette idée qu’on était des exilés, qu’on avait été chassés d’Angleterre et qu’on a prouvé qu’on pouvait se débrouiller dans ce paysage sauvage. C’est une qualité américaine essentielle, toujours aujourd’hui. Peut-être à cause du western d’ailleurs, qui nous ramène sans cesse à cette époque…"