Dieu existe, elle est à la Berlinale
Ce dimanche, les deux films en Compétition étaient signés par des femmes et deux films en phase avec les questions de société actuelles.
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Publié le 10-02-2019 à 22h30 - Mis à jour le 11-02-2019 à 17h07
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Ce dimanche, les deux films en Compétition étaient signés par des réalisatrices en phase avec des questions très actuelles.
Ce dimanche en Compétition de la 69e Berlinale, la jeune Teona Strugar Mitevska a été très applaudie. Remarquée en 2008 avec le très beau I Am from Titov Veles en 2008, la cinéaste macédonienne installée à Bruxelles avait également fait forte impression au Panorama berlinois il y a deux ans avec When the Day Had no Name have. Toujours coproduit par les Belges d’Entre chien et loup, son nouveau film God Exists, Her Name is Petrunya continue de creuser la question de l’avenir bouché de la jeunesse macédonienne.

Fable féministe
Sauf que l’on quitte ici la capitale Skopje pour la petite ville de Chtip. Diplômée en Histoire, la très ronde Petrunya vit toujours, à 32 ans, chez ses parents. Sa mère la pousse à s’habiller pour un entretien d’embauche, qui vire, une fois de plus, à l’humiliation. Alors qu’elle rentre penaude chez elle, elle assiste à une procession traditionnelle, durant laquelle le pope local jette une petite croix en bois à la rivière. Bravant le froid, des dizaines d’hommes plongent pour tenter de la récupérer. Sur un coup de tête, la jeune fille décide, elle aussi, de se jeter à l’eau et c'est justement elle qui parvient à s’emparer du trophée. Pour le plus grand plaisir d’une journaliste d’une chaîne de télé de Skopje, un scandale éclate, les hommes refusant qu’une femme puisse leur voler la vedette. C’est contre la tradition! Même la police locale se met à la recherche de Petrunya!
Dans une Berlinale très féminine cette année, God Exists, Her Name is Petrunya tombe à point nommé et ne devrait pas laisser indifférent le jury de Juliette Binoche. En montant en épingle un fait divers de seconde zone, Mitevska choisit la comédie pour livrer un film profondément féministe. A travers Petrunya (mais aussi le personnage de cette journaliste qui se prend au jeu de cette querelle de clocher), c’est en effet à la satire d’une société patriarcale que se livre la cinéaste. Une société arriérée, « restée au Moyen Age », où la femme est toujours considérée, par la tradition et la religion, comme inférieure à l’homme. Un état de fait parfois consolidé par les femmes elles-mêmes, comme en témoigne le personnage de la mère de Petrunya…
Abordant tout à la fois des questions sociales (ce chômage qui mine la jeunesse macédonienne) et sociétales, God Exists, Her Name is Petrunya s’interroge également sur le poids de la religion en Macédoine. Mais tout cela, Teona Strugar Mitevska choisit de le faire à travers la légèreté, l’humour, l’absurde. Ce qui n’empêche pas, sur le fond, une véritable gravité. Son film résonne en effet comme un cri de femme libre au sein d’une Macédoine dominée par les hommes… Dans le rôle-titre, Zorica Nusheva est en tout cas en course pour le prix d’interprétation, tout comme l’Autrichienne Valerie Pachner, impressionnante, la veille, dans The Ground Beneath my Feet.

Gareth Jones, premier lanceur d’alerte
Autre femme à faire son entrée en Compétition à Berlin dimanche, deux ans après y avoir dévoilé l’étrange polar écolo Spoor, la Polonaise Agnieszka Holland (connue notamment pour Sous la ville en 2011) a également séduit les festivaliers avec Mr Jones, un hommage au jeune journaliste gallois Gareth Jones, assassiné en Mongolie intérieure dans des circonstances troubles, à la veille de son 30e anniversaire.
Diplômé en langue russe à Cambridge, ce collaborateur du Premier ministre britannique Lloyd George — il a notamment participé à la rédaction de ses Mémoires de guerre, avant de devenir l’un de ses conseillers aux Affaires étrangères —, est le premier journaliste étranger à avoir voyagé dans l’avion privé d’Hitler, où il réalisa une interview à sensation en janvier 1933. Avant, quelques semaines plus tard, d’alerter sur l’Holodomor, la « famine de Staline ». Quand le pouvoir soviétique affama sciemment l’Ukraine, le grenier à blé de l’URSS, au profit de la Russie…
Retraçant l’incroyable voyage de Mr Jones (campé par James Norton) à Moscou, alors un confortable nid de vipères pour la presse internationale, mais surtout dans la campagne désertique d’Ukraine, où les paysans mourraient littéralement de faim, Holland met en scène le combat pour la vérité d’un idéaliste. Parti dans l’espoir de renforcer les liens entre la Grande-Bretagne et l’Union soviétique dans leur lutte commune contre l’Allemagne désormais aux mains des Nazis, le jeune homme découvre l’horreur du régime, mais aussi l’aveuglement des journalistes occidentaux présents sur place. Et notamment de Walter Duranty (excellent Peter Sarsgaard), correspondant moscovite du New York Times. Détenteur d’un Prix Pulitzer (qui ne lui fut jamais retiré) pour ses reportages en Union soviétique, celui-ci fut l’une des voix les plus déterminantes pour minimiser les révélations de son jeune collègue. Lequel finira pourtant par se faire entendre et inspira à George Orwell sa fameuse Ferme des animaux, comme le rappelle Agnieszka Holland.
Si l’histoire de Gareth Jones en elle-même est importante, Mr. Jones résonne très fortement dans le contexte actuel, celui où la Russie regarde à nouveau l’Ukraine comme sa chasse gardée, mais surtout à un moment où la presse est frappée de discrédit. La cinéaste polonaise met en effet en scène tout à la fois la collusion de certains médias avec le pouvoir (fût-ce au nom de la raison d’Etat), mais aussi le courage de ce que l’on appellerait aujourd’hui un lanceur d’alerte. Plaidoyer pour une presse libre et indépendante, le film a en tout cas enthousiasmé la Berlinale ce dimanche.
