Le plan-séquence de Brian De Palma
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- Publié le 05-07-2019 à 15h57
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Prise de vue en continu suivant une action, le plan-séquence est un fantasme de réalisateur, de Murnau (L’Aurore, premier exemple, en 1927) aux Dardenne. Si on combine plan-séquence et point de vue subjectif (filmer du point de vue d’un protagoniste), on renforce l’immersion du spectateur.
Pour Brian De Palma, qui en fait un usage régulier, le plan-séquence exprime au contraire sa méfiance : "Quand je suis devenu cinéaste, je me suis rendu compte à quel point il était facile, même dans un documentaire, de manipuler les images." À Godard qui a dit : "Le cinéma, c’est la vérité 24 images par seconde", Brian De Palma réplique, démonstration à l’appui, que "le cinéma, c’est le mensonge 24 images par seconde".
Une source de son scepticisme à l’encontre de la pseudo-vérité que recèleraient les images est l’assassinat du président Kennedy, en novembre 1963. Le drame a été filmé incidemment par Abraham Zapruder. Sa séquence montre tout, mais ne révèle rien. On voit le Président frappé par les balles, sa tête qui explose. L’événement est capturé pour la postérité. Mais l’élément capital reste hors champs : qui a tiré et d’où ? Zapruder ne tourne pas sa caméra vers la source des tirs. Ce qu’on ne voit pas dans son film a nourri les théories du complot. De Palma en a fait un sujet de son deuxième film, Greetings (1968).
Lui-même va dès lors utiliser le plan-séquence pour leurrer le public. Il suit une action en continu, du point de vue d’un des protagonistes. Tel un prestidigitateur détournant le regard, De Palma cache, ce faisant, un ou plusieurs éléments essentiels, qui n’apparaissent souvent qu’en fin de plan ou de film.
Le plan-séquence lui permet aussi d’exploiter un de ses thèmes de prédilection : le voyeurisme. "Épier à travers une fenêtre, c’est une parfaite métaphore du cinéma" dit-il. Démonstration en ouverture de Blow Out (1981). À travers les fenêtres d’un dortoir, le spectateur épie du point de vue d’un psychopathe des adolescentes. Tromperie : c’est un film dans le film, regardé par son preneur de son, joué par John Travolta. Témoin d’un accident, il tente de prouver que c’est un meurtre, en le reconstituant par l’image et le son.
Œuvre paranoïaque, Blow Out démonte le fantasme né du film Zapruder : les images ne révèlent pas la vérité.
Body Double (1984), tout entier bâti autour du voyeurisme et de l’illusion, en est exemplaire. Mais aussi Snake Eyes (1997, en photo) qui s’ouvre sur un plan-séquence magistral de treize minutes (en réalité : huit prises). On suit un policier (Nicolas Cage) dans les coulisses d’un casino, jusqu’à l’assassinat d’un homme politique en public. Ensuite, chaque témoignage révèle un point de vue différent. Sous couvert de thriller, De Palma livre une leçon sur la perception subjective de la réalité, en déconstruisant son plan-séquence.
Snake Eyes est le dernier film du XXe siècle de Brian De Palma. Quatre ans plus tard, une autre scène filmée en direct à New York, en un plan fixe, traumatisait les États-Unis. C’était le jour des 61 ans du réalisateur : un certain 11 septembre…