"Au nom de la terre", un drame paysan inspiré de la vie du réalisateur

Un homme marche dans les sillons d’un champ labouré. Pas lourd, épaules voûtées, traits tirés… Vingt ans plus tôt, en 1979, Pierre (Guillaume Canet) revient du Wyoming pour épouser Claire (Veerle Baetens). Il a bossé dans un ranch de dix mille têtes. Il se sent de taille pour reprendre l’exploitation agricole de son père (Rufus), fermier à l’ancienne qui a développé le domaine familial durant les Trente Glorieuses. "Reprendre", encore faut-il s’entendre sur le mot : rachat à crédit, avec traites à payer chaque mois au père. Chez les Jarjeau, on n’hérite pas, on mérite chaque centimètre carré de terre.

En 1996, père de deux enfants, Pierre croule sous les dettes. Il succombe au pari dangereux : investir et s’agrandir dans l’espoir de trouver sa place dans un marché toujours plus compétitif. Poussé par une coopérative, il se diversifie avec un immense poulailler industriel. Mais les dés sont pipés : les prix fixes impliquent, en cas de revers, de produire à perte.

"Inspiré d’une histoire vraie" annonce un carton. En l’occurrence, celle de Christian, père du réalisateur Edouard Bergeon. Mais pas que : selon un autre carton, citant une étude officielle, le même drame frappait en 2009 une famille d’agriculteur française tous les deux jours. Statistique sidérante sur lequel ce film met un visage.

Ce film laboure les mêmes terres que En Guerre de Stéphane Brizé ou Petit paysan d’Hubert Charuel. Il entretient avec ce dernier la même filiation - littéralement : les deux réalisateurs sont fils de paysan. Par le biais de la fiction, ils dépeignent des tragédies rurales liées à la fuite en avant consumériste et néolibérale. Mais là où Charuel prenait le biais du thriller, Edouard Bergeon opte pour le drame familial, non moins tragique.

Pierre lutte non contre un patron qui veut le licencier mais contre un système, vaste, mondial et insidieux qui se met en place. Il fait peut-être les mauvais choix mais en a-t-il d’autres ? Au nom de la terre ne désigne pas de coupable. Ils sont innombrables, jusqu’au consommateur "qui ne veut plus payer" pour un poulet élevé décemment. Qui sème le vent récolte la tempête. Pierre a semé sans compter mais n’a récolté que labeur et malheur. Bergeon ne veut pas faire pleurer dans les chaumières mais sensibiliser.

Dans une pure fiction, l’accumulation des déboires paraîtrait excessive. Le réalisateur affirme que la réalité fut pire encore. Créditant le fils du respect de la mémoire de son père, on acte l’authenticité. Mais ce n’est pas un documentaire.

Il y a la poésie d’une France rurale - paysages au rythme des saisons, écho des péripéties familiales - et du romanesque, fut-il sombre, dans ce récit qui saisit aussi des moments de bonheur, contrepoints à la violence qui a terrassé le paysan-combattant. Cette violence qui redouble quand celui qui a tout perdu se voit reprocher d’avoir mal fait. Quand on se fait traiter de bon à rien, que reste-t-il comme échappatoire ?

L’origine du récit explique l’attention apportée au fils, Thomas (Anthony Bajon) qui assiste impuissant à l’ordalie de son père. La sœur, plus jeune, est peut-être un peu négligée. Mais La trinité d’Au nom de la terre est complétée par un patriarche autoritaire et intransigeant (Rufus, excellent malgré un rôle monolithique) incapable de considération pour son fils. Mais lui aussi en paiera le prix, comme le petit-fils réalisateur l’évoque dans le dernier plan.

Le fils a transcendé les raisons de la colère en un drame universel. Le succès en France atteste que le monde agricole s’y reconnaît (lire La Libre du 8 octobre).

Au nom de la terre Drame paysan De Edouard Bergeon Scénario Edouard Bergeon, Bruno Ulmer et Emmanuel Courcol Avec Guillaume Canet, Veerle Baetens, Rufus, Anthony Bajon,… Durée 1h43.

"Au nom de la terre", un drame paysan inspiré de la vie du réalisateur
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