"Les Misérables", un film d'une intensité dramatique exceptionnelle
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- Publié le 20-11-2019 à 09h30
- Mis à jour le 20-11-2019 à 10h51
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À Montfermeil, où Hugo a écrit en partie son chef-d’œuvre, c’est toujours la misère, toujours la banlieue. Le choc de Cannes. Stéphane arrive de Cherbourg pour son premier jour à la brigade anti-criminalité de Montfermeil dans la banlieue parisienne. Ses collègues, Chris et Gwada, le baptisent aussitôt Pento, une marque de gomina, à cause de ses cheveux gras. Sa journée commence mal, et ce n’est que le début. On l’emmène faire le tour du quartier. Des barres HLM déglinguées où Chris aime jouer au shérif.
Voilà une occasion de sortir son grand jeu, les Roumains et les Blacks en sont déjà quasiment aux barres de fer. Les uns accusent les autres de leur avoir volé Johnny, un bébé lion. Chris parvient à calmer tout le monde avec une promesse, celle de retrouver le fauve dans les 24 h. Comment peut-il être aussi affirmatif, se demande Pento ? "Les gamins ne résistent pas à poster leurs conneries sur les réseaux sociaux", lui assure Chris.
De fait, un peu plus tard, Issa, 12-13 ans, apparaît, sur Facebook avec un lionceau dans les bras. Il ne reste plus qu’à le serrer. Le voilà, en train de jouer au foot avec ses potes. Mais l’interpellation dégénère. Les microbes, comme on les surnomme, caillassent les flics. L’un deux sort son Flash Ball et tire sur Issa qui s’écroule entre deux sacs-poubelles, inanimé. Ça calme tout le monde. Un ange passe. Non, un drone qui a tout filmé. La vidéo de la bavure peut précipiter la chute de Chris. En attendant, la loi c’est lui, et il est capable de tout pour récupérer la carte mémoire.
Dans son quartier
Des films sur la banlieue française, on n’en a plus vu de cette depuis La Haine. Ça sent le vrai. D’ailleurs Ladj Ly a filmé son quartier. Avec une maestria époustouflante et surtout à la bonne distance, celle du drone. Même si ce sont les trois policiers, qui font avancer le récit, dans leur 308 ; la situation est abordée par les différents groupes en présence visibles depuis le drone. L’engin fournit une cartographie de ces forces qui se neutralisent les unes, les autres car chacune a conscience qu’un incident mal maîtrisé peut entraîner l’embrasement général.
Alors, quelles sont ces forces ? La loi de la république, les policiers, soit un cow-boy, un gars de la cité - traître pour les uns, mais facilitateur pour beaucoup d’autres - et un nouveau qui découvre une autre planète, comme le spectateur. Il y a la loi politique, l’homme de terrain, le caïd subventionné par les autorités pour faire régner un semblant de calme et qui prospère avec ses petites magouilles. Il y a les gros trafiquants qui fournissent de l’emploi bien rémunéré mais aussi des renseignements aux flics dans un donnant-donnant contre nature. Il y a la loi de la religion, celle des frères musulmans qui font de l’éducation, du prosélytisme et de la récupération des brebis égarées. Il y a la loi familiale, celle des papas absents et des mamans confinées dans les appartements. Et il y al a loi des hormones, des gamins qui traînent sur le terrain de foot, glissent sur des cartons, s’aspergent à la mitraillette à eau, trompent leur ennui en faisant des bêtises.
A cette distance, on distingue parfaitement la complexité du territoire. Le tour de force de Ladj Ly consiste à proposer cette distance tout en immergeant le spectateur dans chaque communauté ; de quoi se rendre compte, de près, que la réalité est aussi complexe que les individus. Ladj Ly n’oublie pas de faire du cinéma. D’une part, il construit une dramaturgie en trois temps : il plante le décor de façon quasi documentaire, puis il libère le ressort dramatique et enfin il esquisse l’avenir si on laisse la situation en l’état. D’autre part, il manie la tensIon avec doigté et trousse quelques scènes pour frapper les esprits, comme celles de la cage au lion ou de la cage d’escalier.
Hugo à Montfermeil
Et Victor Hugo dans tout cela. C’est à Montfermeil qu’il a écrit une partie des "Misérables". Pas de Cosette, ni de Jean Valjean ici, mais bien Javert et surtout, toujours la même misère. Le film se termine avec une citation de l’écrivain : "Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs."
Ladj Ly, qui n’a rien d’un débutant avec son long passé de documentariste, signe un premier film de fiction nourrie intégralement de réalité, avec une direction d’acteur sans faille, et d’une intensité dramatique exceptionnelle. Il est une des révélations du festival de Cannes.
