Michel Hazanavicius : "À Hollywood, à la fin, vous ne savez plus qui décide... Donc je suis très heureux de faire des films en France"
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Publié le 18-02-2020 à 17h08 - Mis à jour le 21-02-2020 à 17h17
Depuis The Artist et ses cinq Oscars, Michel Hazanavicius est un réalisateur qui existe sur la carte internationale du cinéma. Même si, jusqu’à nouvel ordre, il a choisi de poursuivre sa carrière en France. Preuve de sa notoriété, lors des derniers Rendez-Vous Unifrance - raout annuel de promotion du cinéma hexagonal - les confrères étrangers se pressaient autour de la table pour l’interroger sur Le prince oublié.
Quel âge ont vos enfants ? Est-ce un film qui parle de votre propre vécu de "prince oublié" ?
J’ai de tout : de 9 à 21 ans. Je suis donc déjà passé par là et je vais encore y passer ! C’est un sujet que je connais. Mais l’origine ne vient pas de là. Il s’agit d’abord d’une idée et d’un scénario de Bruno Merle. J’ai accepté parce que le sujet me touche et me parle. Et, aussi, parce qu’en plus de la relation intime du papa et de sa fille, il y avait une ambition de cinéma. Le procédé de narration fait que le sujet est traité par des effets spectaculaires, épiques et ludiques. La mélancolie du thème - la fin de l’enfance - est contrebalancée par l’aspect ludique du monde imaginaire.
Est-ce aussi, comme dans The Artist, une réflexion sur la puissance de la narration et de l’imagination qui peut transcender la réalité ?
Sans doute. Pas de manière consciente. Lorsqu’elle a vu les premières versions de ce film-ci, Bérénice (Bejo, sa femme, NdlR) m’a dit : "tu as refait The Artist !". Le dernier plan est exactement le même. Ça, c’est conscient. Mais je n’avais pas remarqué à quel point les films sont si proches. On a un adulte qui est rattrapé par le temps, son époque dans The Artist et l’âge de sa fille, ici. Quant à la narration, je dirais que c’est plus un film sur la nécessité de croire et sur l’imagination, pour rendre plus belle la vie. La croyance, en général, est très importante. Je suis laïque, mais prenons la démocratie : y croire est important. Croire en quelque chose, c’est lutter contre le cynisme, contre l’ironie. C’est très important aujourd’hui.
Peut-on y voir autant un conte pour enfants que pour adultes ?
Ma priorité était de faire un film pour enfants. Après, on peut ajouter le deuxième degré et le troisième degré pour les adultes. Mais ce n’est pas un calcul marketing. Quand j’ai fait OSS 117, j’ai été très surpris de découvrir que les enfants de 8 ans étaient fans du film. Cela m’a fait réfléchir. Ici, j’ai travaillé dans l’autre sens. D’abord les enfants, puis les adultes. Ce qui me plaît, c’est l’idée qu’on puisse percevoir différemment un film au fil de temps, à des âges différents, avec le recul de l’expérience. En présentant ce film en France, j’ai été encore plus étonné des réactions très émues des grands-parents. Ils s’y retrouvent presque plus que les enfants et les parents. Eux ont vécu ce passage trois fois : comme enfants, comme parents et puis comme grands-parents.
Il y a, à nouveau, une ambition "à l’américaine". On trouve des échos de certains films Pixar, avec les jouets oubliés…
Alors c’est dangereux de dire ça. Car on n’a pas le même budget ! On a la moitié du budget d’un film de Pixar. Mais, à l’échelle française, c’est un "gros" film : 20 millions d’euros. Pixar a révolutionné le spectacle familial. Désormais, à part les films pour les tout-petits, on doit faire ce genre de films pour l’ensemble de la famille et avec une rigueur technique, car le public est habitué à un niveau de qualité. C’est un terrain sur lequel les films européens ou français se risquent peu. Le défi à relever pour Le prince oublié concernait les effets spéciaux et les personnages imaginaires. J’ai toujours utilisé des effets spéciaux dans mes films, mais dans un parti pris réaliste. Ce qui était compliqué, c’était de créer ce monde et ces personnages imaginaires. Les studios Digital District et Mikros, qui ont signé les effets spéciaux, étaient ravis du défi.
Vous imaginez ce monde du conte comme un studio de cinéma hollywoodien...
L’image qui m’est venue quand j’ai lu le scénario, c’est le studio de la Paramount. Au début, je trouvais que ça réduisait un peu la portée de l’imaginaire. Mais on est parti de là où on tournait : les studios de Brie-sur-Marne. Et puis on a ajouté des éléments. C’est nourri par le personnage de Omar Sy, qui invente à partir de ce qu’il connaît : un peu de parc d’attraction, un peu de Disneyland. Les studios de cinéma, c’est un endroit où on raconte des histoires, où il y a des costumes, des décors. Le costume du prince est inspiré de l’imagerie classique des contes, mais avec un petit côté super-héros en plus, parce que ce père à une quarantaine d’années : il mélange les influences.
La capacité à monter financièrement un tel film est-elle encore le fruit des Oscars de The Artist ?
Oui, sans aucun doute. C’était un film très visuel, reposant sur cette narration par l’image. Pour des producteurs, ça rassure. Même dans Le Redoutable ou les autres, je raconte d’abord l’histoire en images. Pour Le prince oublié, c’est un plus pour les producteurs parce qu’ils savent que ça marchera auprès des enfants. Après les Oscars, la tentation et les offres étaient majoritairement américaines. Mais j’ai fait le choix de films qui me parlent d’abord. Tourner à Hollywood n’est pas un Graal en soi. J’adore le cinéma américain et la mythologie qui l’accompagne, mais je tiens d’abord à ma liberté. Si je l’avais, j’irais là-bas. J’adorerais faire un western, par exemple, mais pas si c’est pour être malheureux trois ans. J’ai eu des discussions avec des studios, mais il y a toujours eu un moment où ma manière de faire des films n’est plus exportable.
C’est-à-dire ?
Par exemple, les temps de décision à Hollywood sont extrêmement longs. Vous posez une question à Untel, ça doit remonter à un autre étage et quand ça redescend, le premier interlocuteur a changé. À la fin, vous ne savez plus qui décide. Moi, sur mes films, je prends des décisions tout de suite, en accord avec le producteur. Ça reste humain et direct. Là-bas, vous ne savez pas qui décide et quand. Je suis très heureux de faire des films en France.